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Dérapages sexuels d’ados. L’accompagnement des auteurs

 

Dans le livre La sexualité des enfants[1], j’ai développé la notion de « dérapage sexuel ». En résumé :

L'adulte (ou même n’importe qui, à n’importe quel âge de la vie) ici concerné respecte habituellement les limites sexuelles intergénérationnelles. Pourtant, il peut se dévoyer et entraîner l'enfant dans une expérience sexuelle (ou quasi) Il cède donc à une tentation transgénérationnelle, sous la pression d'un ensemble de facteurs. Parmi ceux-ci, il existe parfois un certain degré de provoca­tion émanant de l'enfant.

Ensuite, et cela s'avère définitoire de la notion de dérapage, l'adulte va se reprendre rapidement. Après une ou quelques fois espacées sur un laps de temps assez court, il va mettre fin à sa divagation et ne récidivera plus jamais (ou, au pire, une ou deux fois sur la durée d'une vie) C'est la peur d'avoir de sérieux ennuis, la voix de sa conscience ou parfois aussi la résistance et la désapprobation immédiates ou différées émanant de l'enfant qui le poussent à arrêter. Dans les meilleurs cas, adulte et enfant en reparlent ensemble, le premier pour s'expliquer comme il le peut et présenter ses excuses. Dans les cas moins favorables, un silence plus ou moins gêné et définitif fait suite aux événements.

Ce sont deux situations de dérapage qui vont être évoquées ici. Elles émanent chaque fois de deux adolescents, qui, bien des années plus tard, se trouvent torturés par la culpabilité

Situation n° I. Un ado de 17 ans et sa cousine de 7

Un adulte m’écrit:

Bonjour,

J’ai 32 ans, une copine depuis 4 ans et aujourd’hui enceinte de 6 mois.
Si je vous écris aujourd'hui c'est parce que j'ai consulté votre site internet.
Vers l'âge de 17 ans, j'ai abusé sexuellement de ma petite cousine (âgée de 7 ans).     
Aujourd'hui la vérité a éclaté au sein de la famille et beaucoup de membres sont au courant et surtout mes parents...

Je ne sais pas trop quoi attendre d'un échange de mail avec vous ...

Ce que je peux dire en revanche, c'est que aujourd'hui, je ne suis pas un pervers sexuel, ni un pédophile, que ces actes ne se sont plus jamais reproduits.
J'en ai parlé très tôt à ma copine et pour elle il était question que je trouve le moyen d'en parler, avec mes parents, avec ma cousine qui a 22 ans maintenant ... Je n'ai malheureusement pas eu le temps, je n'ai pas trouvé le courage de le faire ... paralysé par la honte, le dégoût, et la peur d’être rejeté par ma famille.   
Les actes se sont produits plusieurs fois, j'ai le souvenir de 3 fois. Il y a eu des attouchements, le pire a été une fellation ... J'ai une terrible honte, de profonds regrets...        
Maintenant je cherche à voir un psychothérapeute, sur les conseils de mon père, de ma mère et de ma copine ... ils y tiennent beaucoup ...
Mais j'aimerais recevoir le jugement d'un spécialiste tel que vous, je voudrais être "qualifié" par un professionnel. Comprendre exactement ce qui s’est passé à ce moment-là, et pourquoi je n'ai pas su voir cet interdit et mesurer les conséquence de ce que je faisais .... Car je ne cherchais pas à faire de mal, et même j’ose dire que j’aimais bien ma petite cousine ... il n'y a eu aucune violence - j'ai usé de mon pouvoir de grand frère, et de mon influence psychologique sur elle ... Je ne voulais pas lui causer du tort.

J'ai très peur de ce qui va se passer maintenant ... Est-ce que je dois aller en prison pour "payer" de mes actes? Est-ce que je vais perdre définitivement tout ou une partie de ma famille? Comment je dois m'y prendre pour me montrer courageux et assumer mes actes? Comment est-ce que je peux réparer quelque chose? si cela est possible?
Avez-vous l'adresse d'une personne compétente qui pourrait m'aider? Peut-être vous-même?

Sincèrement ...

Je lui réponds:

Cher Monsieur,

D’abord, je vous remercie de votre confiance.

Moi aussi, je fais le pari de la confiance sur ce que vous me dites aujourd’hui et de sa « normalité » sexuelle.

Vous n’êtes pas le seul "grand frère" à avoir choisi de jouer de son ascendant, de son pouvoir de grand frère à des fins sexuelles pendant un court laps de temps. A ce moment-là, l’affection positive que l’on peut éprouver corollairement pour le petit enfant ne fait plus le poids. C’est un moment de dérapage, où la pression sexuelle est trop forte et où l’on s’enivre et s’aveugle transitoirement à cause du plaisir que l’on ressent et du pouvoir que l’on a ... et puis, quand on est normal, on se reprend assez rapidement, on est très embarrassé par ce que l’on a fait ... l’on a honte ...

Sur base de ce que vous écrivez, je ne pense pas moi non plus que vous êtes pédophile: simplement, votre petite cousine a-t-elle été, l’espace d’une mauvaise passe dans la gestion adolescentaire de votre sexualité, ce qu’il y avait de plus commode à vous mettre "sous la main" (si j’ose dire) ... je pense que si vous aviez eu à l’époque une copine de votre âge bien intéressée par l’amour et le sexe, vous n’auriez jamais touché une enfant, mais voilà, il n’y en avait probablement pas et les grands ados n’ont pas toujours une moralité à toute épreuve ... ni l’audace nécessaire pour aller à la conquête d’une fille de leur groupe d’âge, même et surtout une "facile".

Vous vous êtes bien repris par après, et c’est ça qui compte! Seulement, hélas, nos actes nous suivent et nous rattrapent parfois: c’est ce qui est arrivé ! Dommage que vous n’ayez pas trouvé le courage de parler avec votre cousine quand votre copine vous l’avait conseillé et de lui demander pardon du fond du cœur!

Que faire alors, si ce n’est faire preuve autour de vous, dans le dialogue verbal, de l’authenticité dont vous faites preuve dans votre lettre!

Si vous étiez belges, de tels actes pourraient être poursuivis par la Justice dix ans après la majorité des victimes. Pour la France, je ne sais pas mais ça doit être très proche. Mais je ne suis pas sûr que votre cousine veuille déposer une plainte pénale , lourde à gérer pour tout le monde ( et vous-même vous étiez mineur à l’époque : donc, le risque de vous retrouver avec de solides ennuis judiciaires est petit ! )

Le plus important, c’est que votre cousine soit reconnue comme victime de votre moment de débordement sexuel. C’est que vous lui demandiez pardon à elle et à toute la famille, mais, tout autant, que vous vous pardonniez. Qui d’entre nous n’a jamais commis de vraie faute ?

 Peut-être aussi pouvez-vous lui demander à elle si elle attend une quelconque réparation. Sinon, vous pouvez décider vous-même ou avec votre copine un acte bon et gratuit que vous pourriez poser. Et puis,  repartiez de l’avant en pensant à tout ce qu’il y a de positif en vous!

Devez-vous voir un bon psychothérapeute? Peut-être si vous continuez à vous sentir coupable et déprimé après avoir fait tout cela. Je puis vous aider éventuellement à en trouver un.

Cordialement. 

Il me répond:

Bonjour,

Je tenais à vous remercier pour votre réponse, et pour le temps que vous avez pu m'accorder ...

Je ne sais pas trop comment faire pour renouer le contact avec ma cousine ... pour lui demander le pardon ...Mon père m'a dit que pour le moment elle ne le souhaitait pas, qu'il fallait laisser passer un peu de temps sur tout ça ...     
Je n'ai pas trop envie d'aller à l'encontre de cela, ma copine me conseille quand-même d'essayer de le faire au plus vite ... Ce n'est pas facile ... J’ai peur que beaucoup ne veulent plus entendre parler de moi ...

Bien cordialement.

Je lui réponds:

Je pense que votre père est probablement un sage, il faut respecter le rythme et la motivation de votre cousine maintenant.

Le pardon ne viendra peut-être pas dans le chef de certains ... c'est dur bien sûr mais l'important est votre sincérité, que VOUS vous pardonniez et que désormais vous semiez autour de vous amour et gentillesses.

Bien à vous. 

Situation n° II Adolescent de 17 ans et garçon de 8 ans

Un adulte m’écrit:

Bonjour,

J'ai 40 ans, marié avec 3 enfants.

Je vous contacte suite à la lecture d'un échange de courriel sur votre site, intitulé "j'ai abusé de ma cousine". En effet, à l'âge de 17 ans j'ai été l'auteur d'un passage à l'acte sur la personne d'un petit garçon de 8 ans. J'étais dans les vestiaires d’une piscine plutôt déserts et j'ai profité de ma position pour "emballer" cet enfant. Un sourire, un clin d’œil et il m’a suivi dans une cabine. Je n'ai pas réussi à contrôler une pulsion et j'ai incité cet enfant à me masturber. Cela a été très bref.

Juste après cet acte j'ai éprouvé beaucoup de dégout de moi-même et je ne comprends toujours pas à ce jour ce qui m'a conduit à cela. J'ai abusé de cet enfant sans violence mais par séduction ; cela est arrivé une seule fois (une de trop d'ailleurs) et je n'ai jamais recommencé.

J'ai tenté depuis toutes ces années à enfouir en moi ce terrible secret. Il a ressurgi à plusieurs reprises avec toujours pour effet d'un effondrement de mon estime et des épisodes dépressifs. J'ai conscience de la portée de mon geste et de l'effet dévastateur possible sur cet enfant et sur sa vie d'adulte. J'essaye en vain de me dire que mon état de conscience à cet époque ne me permettait pas de mesurer les conséquences de mon geste. Aussi je suis prêt aujourd'hui à assumer les conséquences de ceci et à prendre mes responsabilités. Cependant j'ai de multiples questions : sous réserve que je parvienne à retrouver cet enfant, est-il lui en demande de cette démarche ? Si aujourd’hui par bonheur il a retrouvé un équilibre comment va-t-il vivre ma demande de pardon et de réparation ? cela ne risque-t-il pas de le déstabilisé à nouveau ? Mon désir de me repentir n'est-il pas égoïste et ne vais-je pas encore en faisant cela lui imposer quelque chose qu'il ne souhaite pas?

Je n'ai pas eu le courage jusqu'alors de parler à qui que ce soit de mon geste et vous êtes le premier à qui je le livre. j'espère un retour de votre part afin de me donner votre point de vue et le cas échéant quelques repères qui me seraient utiles.

Je lui réponds:

Cher monsieur,

Je me réjouis pour vous du courage que vous avez trouvé à vous exprimer et à faire part de ce que vous appelez "ce terrible secret", et de la confiance que vous me faites.

Bien sûr, ce que vous avez fait est un abus, et l’honnête homme que vous êtes manifestement n’en est pas fier, et s’en sent très coupable. J’apprécie que vous ne vous cherchiez pas d’excuses (par exemple, celle de votre propre minorité; ou encore, le fait qu’il n’y ait pas eu de violence physique ni verbale!) Sauf peut-être que, en bon ado, au moment même, vous n’évaluiez pas bien les conséquences (ceci, c’est très typique de tous les ados !ce n’est donc très probablement pas une « fausse excuse »)

Lisez dans mon livre "La sexualité des enfants" (Odile Jacob, 2004, p. 167-172) ce que je dis du dérapage sexuel : quelqu’un d’habituellement sociable se dévoie transitoirement, puis se reprend de lui-même. Les raisons peuvent être variées, depuis la mauvaise passe dépressive jusqu’au besoin d’expérimenter une fois la puissance de Mal que l’on a en soi, ou jusqu’u besoin de e donner du plaisir physique à tout prix. Je pense que cela vous concerne à 100%.

Et maintenant, c’est l’heure de vous pardonner à vous-même et, pour réparer cet égarement, de veiller à faire dans votre vie suffisamment d’actes bons. Notre humanité à tous, fait de nous un mélange de ressources et d’imperfections, de bien et de mal, d’égo centration et d’altruisme. Votre faute a été réelle mais toutes nos vies sont émaillées – un peu plus, un peu moins – de fautes réelles. Quand nous sommes des types "bien", le combat vers le Bien se gagne, mais c’est toujours un combat. Que vous soyez chrétien, d’une autre religion ou laïque, je vous invite à lire un bref passage de l’Evangile de Saint jean, dit Evangile de la femme adultère" et à bien méditer ce qui y est dit. ("Que celui qui évangile n’a jamais péché jette la première pierre ... et ils s’en allèrent un par un, à commencer par les plus vieux..." « Eh bien toi aussi, va et ne recommence plus »)(Jn, 8, 7-11 Et croyez-moi, c’est un monsieur déjà âgé qui vous écrit, tout à fait concerné par ce qui y est dit.

La meilleure façon de réparer vis-à-vis de ce jeune garçon, c’est de lui f ... une paix royale. Lisez aussi, dans le même chapitre de mon livre, ce que je dis des épines sexuelles: Expériences sexuelles le plus souvent isolées, qui égratignent moralement sans vraiment tout ne détruire ni pervertir. Mon expérience de terrain dans l’analyse et le soin aux abus me fait penser que ce jeune a très probablement vécu l’expérience comme une épine : c’était un moment de séduction isolé venant de quelqu’un qu’il identifiait probablement comme une sorte de grand frère un peu vicelard, et pas comme une Image paternelle. Donc quelqu’un du même groupe générationnel que lui, ce qui est toujours moins traumatisant que lorsque la barrière intergénérationnelle est franchie. Il est très probable qu’il a rapidement intégré cette expérience dans son monde intérieur, sans se sentir détruit par elle. C’est en tout cas ce que je pense sincèrement.

 Je souhaite de tout cœur que l’espérance et la confiance reviennent en vous et que vous soyez d’abord et avant tout un bon père pour vos enfants.

Cordialement.

        

 

[1] J.-Y. Hayez, "La sexualité des enfants» , Odile Jacob, 2004, pages 167-172.