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Ce texte inédit a été écrit en 2006 , peu après le viol et le meurtre à Liège des petites filles Stacy et Nathalie et l'arrestation rapide d'un suspect.

Je rappelle au lecteur que je ne suis pas un spécialiste de la prise en charge des auteurs délinquants adultes. Par contre, mon expertise dans le champ de la lutte contre l'abus sexuel, et dans celui de la délinquance juvénile  (2) , ainsi que mon expérience psychiatrique m'autorisent à exposer mes idées générales.
 
 

Qui sont les auteurs?


En nous limitant aux adultes et aux grands adolescents auteurs de délits sexuels, au sens criminologique du terme, on constate qu'ils constituent une population très hétérogène :



A. Ils se distinguent d'abord par « la clinique observable » :

 

la nature du délit perpétré ( abus de mineur ; viol ; cyber-délit, etc.) ; son association ou non à la violence physique, jusqu'à la torture ou à l'homicide ; son caractère isolé, peu fréquent ou répétitif ; son contexte ; le type de relation qui existe entre la victime et l'auteur ( de la terreur à l'amour immature de certains pédophiles ), etc., etc.

 

B. Ils se distinguent aussi par leur fonctionnement intrapsychique. 



 -  Une petite minorité d'auteurs sont des gens psychiquement normaux et qui, pourtant, se laissent aller du côté de l'inacceptable. Souvent alors, il s'agit d'un dérapage isolé  (3)  – qui n'enlève en rien leur responsabilité – ou d'une mauvaise passe de brève durée dans leur vie.

 -  Beaucoup présentent des troubles psychoaffectifs aspécifiques, répandus dans la population, et pas toujours très intenses ; mais eux, pour les atténuer, se donnent la « solution » d'un délit sexuel, ce que ne fait pas la majorité des gens qui souffrent de ces troubles. Par exemple : vécu habituel d'infériorité, d'exclusion, d'injustice, d'échec ; vécu de solitude, de non-amour ; peur de nouer une relation intime avec un autre adulte ; besoin de satisfaction immédiate des pulsions ; manque de socialisation, etc., etc. : la présence de ces souffrances ou de ces immaturités les poussent à chercher d'illusoires compensations en s'imposant sexuellement à un plus faible, en se donnant un plaisir sexuel interdit, en recherchant un amour sexualisé chez un enfant, etc. La consommation d'alcool ou de drogues par ces personnes peut encore diminuer leur self-control et précipiter leurs passages à l'acte.

 -  Une minorité d'auteurs a construit au fil du temps une personnalité, un style de vie stable et cohérent profondément pathologique à l'intérieur desquels la recherche de toute-puissance, la cruauté, la négation de l'autre notamment dans le champ sexuel, peuvent prendre place comme des traits de comportements banals à leurs yeux, conformes à leur logique de vie habituelle. Ce sont les personnalités psychopathiques, pour qui il est important de « tordre le cou » à toutes les lois, et les personnalités structurées par la perversité, pour qui il est important de broyer l'autre, même faible et innocent, dans leurs griffes. Quant aux personnalités vraiment délinquantes dans l'âme, amorales et à la recherche de tous les profits, elles peuvent, sans le moindre scrupule, faire du commerce avec la sexualité des plus faibles ( gestion de réseaux de prostitution, etc. )  (4)  

A l'intérieur de ces troubles de la personnalité, reste enfin le problème des vraies perversions sexuelles, au sens psychiatrique du terme : quand la sexualité se réalise de façon perverse, l'autre – le « partenaire », la victime – ne compte plus le moins du monde comme personne. La seule chose qui compte, c'est la jouissance sexuelle intense que l'auteur trouve en réalisant un scénario ou une activité très précise avec sa victime, ou même une partie du corps ( par exemple : le seul plaisir de la sodomisation ). L'auteur n'est pas nécessairement violent physiquement, il peut séduire, tromper, mais fondamentalement, il n'en a que faire du bien-être de sa victime ; celle-ci n'est qu'un « faire valoir/faire jouir ».

Les psychiatres, les psychologues et les criminologues tentent régulièrement de construire des « typologies », des classifications homogènes de ces différents types d'abuseurs, mais aucune ne fait vraiment l'unanimité. Les quelques catégories que j'ai énumérées ne prétendent pas constituer une typologie, mais esquissent quelques pôles qui permettent de se retrouver dans ce monde hétérogène.



C. Les auteurs de délits sexuels peuvent encore se distinguer à partir de leur dangerosité,

 

 c'est-à-dire à partir du risque actuel ( et futur ) d'agression grave qu'ils font courir à autrui. Cette « dangerosité » (5) est elle-même la résultante de plusieurs facteurs, dont voici les principaux :

 -  La nature de l'acte qu'ils veulent commettre : une exhibition n'est pas aussi traumatisante qu'un viol avec violence ... Attention toutefois à ne pas se limiter à des analyses superficielles dans ce domaine ; par exemple, toute invitation sexuelle émanant d'un parent à l'égard de son enfant peut avoir un effet très désorganisateur sur celui-ci.

 -  L'intention par rapport à la victime : nier celle-ci, vouloir la faire souffrir ou la détruire, physiquement ou moralement, c'est plus grave que vouloir l'initier ou l'aimer à la manière immature ( et non-acceptable ) de certains pédophiles.

 -  Le potentiel de récidive ; la « puissance interne » de la pulsion déviante ; la légitimation interne que l'auteur se donne pour continuer sur la même voie, etc.

A propos de ce dernier critère ( la puissance interne du besoin déviant), il faut savoir que, pour tous les types de fonctionnement psychique que nous avons passés en revue – juste un peu moins pour les auteurs « normaux » et très fort pour les pervers sexuels – il est susceptible de se surajouter un fonctionnement psychique d'addiction. De la même manière que l'alcoolisme se surajoute parfois aux problèmes affectifs d'une personne, parce que boire, d'une part ça console, mais que, d'autre part, c'est une sensation agréable. Ici aussi, on peut « apprendre » à sélectionner et à reproduire un plaisir sexuel que l'on apprécie beaucoup et à en devenir comme « drogué ». Alors, bien sûr, quel que soit le fonctionnement psychique de base, la situation se corse : le potentiel de récidive peut s'accroître considérablement.

La détermination de la dangerosité d'un auteur, et notamment de son potentiel de récidive est souvent tout, sauf facile, même pour des spécialistes chevronnés. A côté d'une petite minorité de « grands malades » dont il est clair qu'ils constituent des dangers publics permanents, beaucoup d'auteurs sont aptes à brouiller les pistes et à donner le change lorsqu'ils parlent d'eux-mêmes et de leur avenir : ils promettent la main sur le cœur qu'ils ont compris et ne recommenceront plus jamais ... mais parmi eux, il y en a des sincères qui auront le courage de tenir leur engagement, des sincères mais qui ne résisteront pas à un appel ultérieur de leurs sens, et des menteurs qui veulent tout simplement ne plus avoir d'ennuis sociaux.

Les spécialistes de l'évaluation ne sont pas démunis d'indicateurs, mais ceux-ci sont imparfaits, non fiables à 100 %. Citons à titre d'exemple :

 -  la normalité ou la psychopathologie de la personne aujourd'hui, et surtout, l'existence ou non d'une personnalité pathologique ( psychopathie, etc. ),

 -  l'isolement ou le soutien social de l'auteur,

 -  l'histoire repérée de la sexualité de l'auteur ; la dimension compulsive ou perverse des délits commis jusqu'alors ; leur caractère isolé ou récidivant,

 -  l'adhésion plus ou moins profonde à des entretiens psychothérapeutiques qui ont eu lieu,

 -  etc.

Malheureusement, on ne peut jamais être sûr ! Je parlerai tantôt du contrôle social : puisque beaucoup d'auteurs ont l'air de s'être sincèrement amendés, mieux vaut en mettre un peu trop inutilement, autour d'un sincère, qu'un peu trop peu autour d'un menteur bon baratineur.

L'appréciation de la responsabilité de l'auteur

 

 


A. Imaginons un acte qui apparaît répréhensible à toute la communauté

 

, comme un viol. Pour que l'auteur de celui-ci soit déclaré responsable de son acte (6), trois conditions doivent être réunies :

 -  Que l'auteur ait eu un vrai choix de commettre son acte interdit ou de s'en abstenir : par exemple, sous d'autres cieux, certains jeunes adolescents soldats sont obligés de violer sous la menace des armes. Au début, ils ne peuvent pas en être tenus responsables. Par la suite, une partie y prend goût et continue de son plein gré. Où situer alors leur responsabilité ? Exotique, cet exemple ? Dans notre pays, certains enfants ou jeunes adolescents sont obligés d'abuser d'autres, sous la menace d'adultes violents et pervers ... Après, certains font taire leur conscience et y prennent goût aussi. Comment les juger ?

 -  Que l'auteur soit lucide, c'est-à-dire qu'il possède une connaissance suffisante du permis et du défendu ( c'est-à-dire des lois en vigueur ) ; et plus fondamentalement, du Bien ou du Mal, du bien-être ou de la destruction qu'il peut créer chez autrui à partir des actes qu'il commet.

Cette lucidité n'existe probablement pas chez les psychotiques ( les fous ) en plein délire, lors de certaines maladies cérébrales ou de retards mentaux graves. On peut l'avoir perdue transitoirement dans le cadre d'une consommation abondante d'alcool ou de drogue ... mais l'on est le plus souvent responsable de s'être laissé aller à cette consommation excessive avec les risques qu'elle inclut, surtout si l'on se sait d'avance fragile sexuellement.

On peut admettre enfin que certains ( jeunes ) adolescents auteurs, surtout entraînés en groupe, n'ont pas toujours conscience de la gravité de la destruction qu'ils provoquent chez leur victime. Mais ils ne peuvent invoquer cette possible ingénuité qu'une seule fois, la première, avant toute prise en charge psychosociale de leur personne.

 -  Qu'il existe un contrôle de soi suffisant ; que l'acte ne soit pas exécuté sauvagement sous l'effet d'une contrainte intérieure irrésistible.

Ici aussi, quelques fous dangereux, agités, délirants échappent de très loin en très loin à cette règle.

Plus spéculativement, quelques adultes qui ont été eux-mêmes longuement violentés pendant leur enfance et qui n'ont jamais eu l'occasion de parler de leurs traumatismes internes et de s'en libérer pourraient, de loin en loin dans leur vie, être pris d'une rage irrésistible et assouvir irrationnellement une ivresse de vengeance sur un être plus faible. Toutefois, on peut se poser des questions sur leur responsabilité s'ils ne cherchaient pas à recevoir de soins après leur première perte de contrôle de soi, repérée socialement ou non.

Par contre, l'impulsion irrésistible ne me semble pas pouvoir être légitimement invoquée dans les cas assez nombreux où elle l'est pourtant : ici, en effet, les quelques dernières secondes avant l'acte et pendant celui-ci, l'auteur peut être pris d'une frénésie sexuelle irrésistible ( ou quasi ) comme le fauve qui fond sur sa proie. Mais avant ce moment d'ultime confrontation, c'est lui qui s'est mis en chasse progressive de sa victime, c'est lui qui a bu sans modération ... et/ou qui n'a jamais rien fait pour se faire soigner d'une fragilité qu'il se connaissait.



B. A l'inverse, on voit que les conditions nécessaires à l'établissement d'une non-responsabilité sont rarement suffisantes.

 

Elles tournent autour de la maladie mentale avérée, qui brouille gravement la lucidité, la connaissance du permis et du défendu, ainsi que le contrôle de soi.

En particulier, il faut remarquer que les personnalités très pathologiques comme les psychopathes, les personnalités centrées sur la perversité, celles qui présentent des perversions sexuelles connaissent le permis et le défendu, mais ne se sentent pas liées de l'intérieur par cette connaissance. Parfois même, au contraire, cette connaissance leur sert de repoussoir : ils veulent transgresser pour le plaisir. Mais ils sont tout à fait responsables de ce choix sciemment immoral.

Les objectifs de la prise en charge

 


 On doit parler de « prise en charge », par la société, du délinquant sexuel et des risques et dommages qu'il fait courir à la société, et non pas de « traitement ».

 

« Traitement » fait penser que l'essentiel de l'accompagnement réside dans la thérapie psychologique ou médicamenteuse. C'est prendre la partie pour le tout : je décrirai bientôt que plusieurs composantes de la prise en charge sont également importantes et ne doivent pas être confondues les unes avec les autres.

1. Idéalement, dans sa visée qui concerne l'individu-auteur, la prise en charge devrait l'amener à désirer développer une sexualité agréable, mais aussi sociable, c'est-à-dire qui respecte les lois et qui respecte le partenaire. Pour y parvenir, il faut le plus souvent travailler avec lui sur son psychisme et créer un contexte social de sa vie quotidienne accueillant et vigilant. Une sanction significative des actes dont il est responsable peut également constituer un facteur de dissuasion interne plus ou moins puissant.

2. Personne, ni l'ex-auteur ni les témoins de sa vie, ne peut jamais être sûr que ce désir nouveau d'une sexualité bien sociable sera suffisamment puissant et durable. Plus préoccupant encore, on ne peut jamais être sûr qu'il se met vraiment en place, même si l'ex-auteur l'affirme en cours de traitement : tricher avec soi-même, mentir pour retrouver sa liberté, sont hélas des dispositions humaines très communes. Les délinquants sexuels n'en ont pas l'exclusivité. A côté du volet « traitement » et « amélioration du social », il faut donc un volet de contrôle social lucide et puissant.

Plus le cas est grave ( psychisme très perturbé ; mauvaises conditions sociales ; dangerosité ...), plus la globalité de la prise en charge s'indique, et pour une longue durée.

 

Cette « globalité » se doit d'être à la fois bien coordonnée entre les Instances qui la gèrent, et pourtant sans confusion dans les objectifs et les contenus de chacun de ses volets. Pas simple pour un Etat aussi complexe à organiser que la Belgique, où la pluralité des compétences conduit régulièrement à de malheureux clivages, à des confusions dans les décisions et à des fonctions chaotiques.

Par exemple, la région wallonne a accru son équipement en « psy » chargés du volet « traitement » de ces délinquants. Comme dans toute initiative nouvelle, la qualification de ce groupe de psychothérapeutes et leur spécialisation va en croissant, à partir d'une « formation sur le tas », via les expériences rencontrées, et de formations plus spécialisées auxquels ils participent. Jusqu'ici, rien à redire, l'initiative est excellente, mais :

1. Ces « psys » organisent-ils bien leur travail en le répartissant entre les besoins des prisons, ceux des instituts de défense sociale, et ceux du traitement ambulatoire ( par exemple : après la libération conditionnelle ) ? Pas sûr, puisque toutes ces institutions ne sont pas sous la responsabilité de la région wallonne ...

2. L'effort consenti dépassera-t-il un jour le niveau d'une soi-disant expérience-pilote  (7), concept tellement cher aux décideurs politiques du pays ?

Engager 60 psychologues temps-plein, par exemple, X 44 semaines de travail annuel, X 39 heures par semaine représente un capital- temps de 112.900 heures de travail annuel. Supposons que 2/3 de ce capital-temps soit effectivement disponible pour des entretiens à visée psychothérapeutique, soit environ 75.000.

Imaginons qu'un délinquant peu perturbé émotionnellement et peu dangereux nécessite 2 heures de travail, 48 semaines par an pendant 2 ans, soit 192 heures. Un moyennement perturbé pourrait nécessiter 3 heures, 48 semaines par an pendant 3 ans, soit 432 heures. Pour un cas grave, il faudrait travailler bien plus longtemps encore, et plus intensément au début : proposons donc 1000 heures de travail psy.

Et bien, en imaginant que la population des délinquants serait composée de 1/3 de légers, 1/3 de moyennement perturbés et 1/3 de graves, avec 60 temps-plein, on pourrait assurer un traitement conséquent pour 60 de ces trio, soit 180 personnes  (8).

3. Enfin, évitera-t-on les amalgames et les confusions comme, par exemple, celle de proposer un traitement comme alternative à une sanction pénale (« Vous allez suivre une thérapie dans le centre spécialisé et ça vous évite la prison ou ça vous permet d'en sortir beaucoup plus vite ») ? Cette pratique ne devrait jamais exister. Il ne s'agit pas de marchander à propos des changements intérieurs souhaitables, mais de sensibiliser les auteurs à l'intérêt de ceux-ci ; s'ils s'en convainquent, tant mieux pour eux, mais cela n'a rien à voir avec la punition qu'ils ont méritée.

Ou cette autre confusion, qui demande implicitement au traitement d'exercer fonction de contrôle social ?

La prise en charge des cas graves

 



 L'étape de la reconnaissance sociale du délit et de la sanction 

C'est une première étape indispensable ; le plus souvent, la reconnaissance sociale inclut une reconnaissance judiciaire, et c'est des autorités judiciaires qu'émane le pouvoir de décision principal (9). La reconnaissance sociale se couple ipso facto d'une sanction, c'est-à-dire d'une manière précise de réagir, de « marquer le coup ».

A. Dans la majorité des cas, là où l'auteur est reconnu comme responsable et coupable de son acte, cette sanction consiste en une forte désapprobation verbale, une interdiction de toute récidive et une peine, dans le registre de celles que le code pénal prévoit.

Cette « peine » doit exister, d'une lourdeur proportionnelle à l'intention destructive et à la gravité de l'acte commis. Chez les moins retors des délinquants, couplée à la désapprobation par la communauté, la peine est à l'origine d'un sentiment de honte et de culpabilité susceptible d'exercer par la suite un effet dissuasif de l'intérieur. A l'inverse, échapper in extremis à la peine – par exemple être envoyé chez le psychothérapeute plutôt qu'en prison – accroît le sentiment d'invulnérabilité et l'envie de récidiver.

Le code pénal énonce une variété de peines significatives et diversifiées ( emprisonnement, amendes (101), travaux d'intérêts généraux ...) et rend possible de soumettre la liberté de mouvement à bien des conditions. Soyons clairs : fréquenter le bureau d'un psychothérapeute spécialisé peut ( doit ?) évidemment constituer une de ces conditions, mais PAS comme alternative à la peine !

L'effet dissuasif des peines actuellement prononcées serait cependant plus net si elles étaient appliquées avec rigueur, c'est-à-dire sans libération conditionnelle anticipée trop rapide. De plus, à mon sens, s'il existe dans la suite de la vie de l'auteur la récidive du même délit ou d'un délit analogue, outre la perte de l'éventuel sursis probatoire lié aux peines antérieures, la nouvelle peine devrait être incompressible. Pour mémoire, des criminels comme Dutroux, Derochette et Fourniret étaient des récidivistes qui avaient été libérés bien trop rapidement !

B. Dans la petite minorité des cas où l'on déclare l'irresponsabilité de l'auteur, on ne peut pas, au sens strict du terme, désapprouver ( jugement moral négatif ) un acte qui n'était pas intentionnel ! On peut cependant consacrer du temps et de l'énergie à faire comprendre à la personne la destructivité de ce qu'elle a commis, et l'importance qu'il y a à être plus lucide, et/ou moins impulsif à l'avenir. Si cet auteur irresponsable est estimé rester dangereux, la sanction, ici, c'est une mesure qui vise à protéger la société de cette dangerosité : on l'enfermera dans un institut de défense sociale, où l'on s'efforcera qu'il suive un traitement psychologique et souvent médicamenteux.

Quitte à jeter un pavé dans la mare, je fais la proposition que cet enfermement en défense sociale dure le même temps qu'en moyenne, un auteur jugé responsable aurait passé en prison pour le même délit, avant qu'une commission d'évaluation ne se prononce pour la première fois sur l'avenir de cette personne.

Le traitement psychologique et médicamenteux

 

A. Des entretiens avec des psychologues et/ou des psychiatres spécialisés dans le domaine de la pathologie sexuelle devraient être imposés, le plus rapidement possible, avec une densité suffisante  : j'ai proposé quelques chiffres précédemment. Je ne les appelle pas des « psychothérapies » stricto sensu, car pour moi, des psychothérapies, ce sont des entretiens visant une meilleure rencontre de soi et qui sont demandés par la personne elle-même. Ici, c'est d'abord la société qui demande, avec l'espoir qu'il s'en suivra quand même une sensibilisation de la personne et une motivation, dans un second temps, pour modifier son psychisme et ses comportements : la société peut donc enjoindre « des entretiens à finalité psychothérapeutique », mais pas des psychothérapies. Ces entretiens devraient commencer le plus tôt possible et se poursuivre longuement. D'où la nécessité d'une excellente coordination entre ce qui se passe en prison ( ou en institution de défense sociale ) et ce qui se passe avant et encore plus après, quand la personne redevient libre de ses mouvements.

Beaucoup de « volets » peuvent et doivent être abordés dans ce traitement psychologique, et il n'entre pas dans les propos de cet article de les détailler. A mon sens, la majorité des séances de travail doit se dérouler individuellement et une minorité en petit groupe ; une minorité peut se dérouler aussi avec la famille de l'auteur ou avec des représentants de la communauté sociale qui l'accueillera. Les entretiens psychologiques visent à une meilleure rencontre de soi et à la pacification des problèmes émotionnels internes ( visée d'introspection ) ; ils visent aussi à donner de meilleures informations et à discuter des valeurs de la vie ( visée cognitiviste ) ; ils visent encore à modifier directement les comportements ( visée behavioriste ).

B. Quelle place pour les médicaments ? 

Eventuellement, certains auteurs peuvent être soulagés par des médicaments psychotropes non spécifiques de la sphère sexuelle ; ils peuvent les aider à réguler leur impulsivité, à soigner des composantes dépressives ou un noyau psychotique, etc., exactement comme pour l'ensemble de la population, où les psychotropes peuvent contribuer à une meilleure sérénité émotionnelle.

Quant aux médicaments susceptibles d'émousser une libido particulièrement effrénée, ils existent – principalement des hormones – mais il ne faut pas mythifier leur effet. Quelques auteurs à la libido très forte, effrayés ou dégoûtés par eux-mêmes, et qui veulent vraiment modifier leur comportement ( ne serait- ce que pour retrouver leur liberté ) peuvent en bénéficier, parmi les autres traitements. Puisque ces auteurs veulent bel et bien soigner un dérèglement qu'ils reconnaissent en eux, je trouve que l'expression « castration chimique » est parfaitement détestable, par les relents de vengeance définitive qu'elle véhicule, et qu'il faudrait la bannir du vocabulaire. Par contre, un sujet fondamentalement non-consentant peut tromper son monde, prendre le médicament et continuer à commettre des exactions sexuelles, sans jouissance physique, mais par rage, par volonté de salir, pour affirmer sa toute- puissance, etc.

3. L'amélioration du contexte social de vie ( le « traitement » social ) 



Un ex-auteur est d'autant moins enclin à récidiver que sa vie est exempte de stress sociaux importants. Il est d'autant plus enclin à se montrer sociable qu'il ne vit pas en isolé, mais appartient à un groupe ( familial ou autre ) qui le soutient, l'encourage, l'estime, parle avec lui et ... le surveille d'une certaine manière ( fonction de vigilance ). Il est également aidé à bien se comporter s'il n'est pas oisif, c'est-à-dire s'il a un travail et d'autres occupations culturelles, sociales, sportives qui emplissent raisonnablement son temps de veille. Procédant de ces objectifs, on devine toute l'importance d'un travail social intense et de qualité, visant à la mise en place de tous ces « contenants » et de cette atmosphère de sérénité. Les professionnels qui le réalisent doivent en outre bien se coordonner avec les responsables du travail psychologique : ils gagnent souvent à travailler dans les mêmes centres ou dans les mêmes équipes multidisciplinaires spécialisées.



 Le contrôle social 



Soyons clairs : ici, il ne s'agit plus fondamentalement d'aider la personne, mais de protéger la société d'éventuelles récidives, en exerçant une vigilance soutenue.

Le contrôle social est du ressort de professionnels de l'institution judiciaire et policière, et non pas des psychothérapeutes ni des travailleurs sociaux des centres spécialisés dans l'aide  (11). Pas de confusion à ce propos, redisons-le encore ! Pour les auteurs remis en liberté à la fin de leur peine, et dont la dangerosité reste préoccupante, un contrôle social efficace ne saurait pas se réduire à une visite bimensuelle ou hebdomadaire chez un agent de probation, pour passer en revue l'observance des conditions mises à la libération. Ici, on se trouve en plein dans une situation à risques, à ne traiter ni avec ingénuité, ni avec démission. Si le respect des droits de l'homme, appliqué à l'auteur, implique sa remise en liberté une fois sa peine purgée, le même respect des droits de l'homme, appliqué à nos enfants ou à d'autres victimes potentielles, exige une haute vigilance. Vigilance non persécutrice, vigilance qui ne stigmatise pas et n'accuse pas à priori, mais qui reconnaît la fragilité et le danger là où ils se trouvent.

A. Pour circonscrire suffisamment le danger potentiel, je me permets donc d'énoncer un certain nombre de critères, coûteux en énergie, coûteux en argent et en temps, et pourtant non utopiques.

 -  Les conditions mises à la liberté de mouvement de l'auteur doivent être sévères et durables, souvent même définitives. Elles entraînent un certain nombre de restrictions à cette liberté.

Par exemple : 

 -  obligation d'avoir un travail ( ou un temps d'occupation équivalent, dans un bénévolat bien structuré ),

 -  obligation de vivre non-isolé ( en famille, en communauté ...),

 -  interdiction d'avoir un ordinateur à domicile ; interdiction de se brancher sur Internet n'importe où,

 -  ( pour les pédophiles ), interdiction de fréquenter des lieux à forte concentration d'enfants ( écoles, piscines, fêtes foraines ),interdiction de nouer un lien privilégié amical avec un enfant, contrôle sur les relations parent-enfant si l'auteur a des enfants,

 -  etc.

 -  Le non-respect éventuel d'une condition imposée doit être systématiquement suivi d'une sanction significative.

 -  Le contrôle du respect des conditions doit être proactif : visites domiciliaires ou moments d'inspection ou de filature réalisés à l'improviste.

 -  Pour les cas les plus graves, l'idée d'un bracelet électronique/GPS qui garderait en mémoire les déplacements effectués pendant une certaine durée peut s'envisager.

B. Par contre, deux mesures dont il est question actuellement me semblent non respectueuses des droits de l'homme :

 -  La première, c'est de signaler aux habitants d'un quartier l'arrivée chez eux d'un ex- délinquant sexuel : de quoi provoquer une chasse aux sorcières et supprimer aux auteurs toute chance de réinsertion sociale, en les obligeant à aller se terrer dans la solitude et l'anonymat des quartiers urbains les plus à risque.

 -  La seconde, c'est l'implantation intracorporelle d'une puce électronique : ici, la société se donne un droit d'emprise excessif sur le corps d'autrui. Le port d'un bracelet électronique constitue à mes yeux la dernière limite acceptable. La différence symbolique, c'est la non-effraction dans le corps. Cette non-effraction - en dehors de l'intervention chirurgicale - c'est une position de principe de nos sociétés démocratiques contemporaines. En outre, dans le cas précis du délit sexuel, l'auteur risque bien de ressentir cette pénétration de son corps comme l'exercice d'une « loi du talion » persécutrice qui l'enragerait et le pousserait à la vengeance.

La prise en charge des cas qui ont l'air moins graves et/ou moins dangereux

 



Ce pourrait être, par exemple, la découverte d'un inceste ou d'un abus sexuel de brève durée commis par un adolescent qui, par ailleurs, a l'air « bien ». Autant pour l'inceste commis par un adulte réputé sociable, et qui s'effondre après la découverte des faits. Autant pour le collectionneur de pornographie infantile, etc.

 -  Méfions-nous d'abord d'un mouvement de protection, de minimisation, de pitié que nous pourrions connaître. A supposer qu'elle soit évaluée comme responsable, cette personne aussi a commis une faute, qui est apparue ici sur le théâtre de la vie sociale. Il faut appeler cette faute par son nom et la sanctionner. Garder le secret, laisser la personne quitte de toute sanction, c'est lui rendre le très mauvais service d'accroître sa croyance en son impunité, un super-facteur de récidive.

 -  Et donc, ici non plus, on ne peut pas marchander ni créer de confusion en lui faisant croire que le volet « traitement » peut mettre en suspens ou réduire de façon importante le volet « sanction ».

 -  Ne pas se satisfaire de l'affirmation : « Comment ai-je pu faire cela ? J'ai compris. Je ne recommencerai plus. » Exiger la mise en place d'entretiens à visée psychothérapeutique suffisamment conséquents pour que la personne ait davantage accès à son psychisme et à la modification de ses idées. Ailleurs dans le texte, j'avais avancé le chiffre de deux heures hebdomadaires consacrées à des réélaborations psychiques pendant deux ans ( seul, en famille ou en groupe ).

 -  Inversement, ne pas regarder ni traiter cette personne comme un paria irrécupérable. Qui parmi nous peut se vanter d'un parcours sexuel à la sociabilité impeccable ? N'avons-nous pas régulièrement à combattre pour que notre sexualité ne soit pas source de souffrance pour autrui ? Si c'est mal de regarder de la pornographie infantile, est-ce pour autant « bien » de regarder de la pornographie ordinaire ?

Quand, dans l'Evangile de Marc  (12), Jésus dit, à propos de la femme adultère – un lourd délit sexuel pour l'époque ! – « Que celui qui n'a jamais péché lui jette la première pierre », l'Evangéliste ajoute : « et ils s'en allèrent tous un à un, à commencer par les plus vieux ... » Sachons nous en souvenir !

 -  Mettre en place un vrai soutien social ; dans le livre

«  L'enfant victime d'abus sexuel, évaluation et traitement » ( Hayez, de Becker, 1997 ) et dans bien d'autres écrits, j'ai défendu l'intérêt de la mise en place de petits groupes de vigilance informels, issus du tissu social même de l'auteur, et qui exercent de façon durable des fonctions d'encouragement ( à vivre socialement ) et de vigilance.

 -  Ne pas négliger la question du contrôle social. Par exemple, un collectionneur d'images pornographiques pédophiliques pourrait être frappé d'une amende significative, dont le montant irait à des œuvres d'aide aux victimes, et pourrait être interdit définitivement d'avoir un ordinateur à domicile et de fréquenter Internet ( contrôle social ). Pour mémoire, on a parfaitement bien vécu sans Internet jusque dans les années 80 ...

En guise de conclusion



Le délit sexuel est particulièrement choquant, parce qu'il frappe violemment le corps et l'intimité d'innocentes victimes et parce qu'il détourne de son but – la continuation de l'espèce et l'amour – une pulsion présente au cœur de nos vies à tous. Pourtant, il n'existe aucun être humain parfaitement sociable. La faute, occasionnelle ou fréquente, nous colle au corps. Elle n'est pas toujours repérée socialement, loin de là : la majorité des fautes reste bien cachée !

Ainsi en va-t-il de l'auteur de délits sexuels : c'est une figure d'humanité ni plus ni moins monstrueuse que le PDG qui délocalise sans nécessité ou que l'auteur d'autres délits financiers, qui contribue à affamer le monde. Et certaines de nos fautes secrètes sont « gratinées » elles aussi.

Face à cet auteur et à la communauté, nous voici donc « pris » entre deux devoirs complémentaires :

D'une part, nous nous devons de veiller à ses droits d'être humain, comme tous les autres : droit à ne pas être stigmatisé, droit à être pris en charge de façon digne, droit à recevoir les soins et l'aide sociale qui le mettront dans de meilleures conditions pour donner désormais le meilleur – et plus le pire – de lui-même ; droit aussi à voir reconnue sa part de responsabilité dans ses actes, en ce inclus la juste sanction de ceux qui sont inacceptables.

D'autre part, nous devons veiller à ce que nos communautés de vie constituent des endroits sûrs, où tous, et notamment les plus fragiles et les plus innocents, peuvent évoluer en toute confiance. Et donc, si un individu représente des risques anormaux d'agression à l'égard de la communauté, il faut protéger celles-ci.

La marge de navigation ouverte entre ces deux devoirs complémentaires n'est ni immense, ni nulle. On peut « redonner sa chance » à un auteur qui a été sanctionné, en faisant de son mieux pour qu'il s'améliore, mais sans perdre pour autant lucidité et vigilance. Dans les cas graves, cette vigilance doit être intense et durable. A ce prix, les chances d'une coexistence conviviale entre l'ex-auteur et son environnement peuvent s'accroître, sans que le risque zéro ne soit jamais atteint ... Et, soit dit en passant, l'auteur suivant, ce ne sera peut-être pas le récidiviste que tout le monde prédit, mais notre voisin d'à-côté – ou nous – malgré toutes les richesses humaines positives que nous possédons aussi !


Notes




2. Cfr mon livre « La destructivité chez l'enfant et l'adolescent », Dunod, 2e édition, 2007. Les grandes catégories de fonctionnement que j'y décris ( psychopathie, perversité, etc.) me semblent largement extrapolables aux adultes.

3. J'ai développé ce concept de dérapage dans le livre « La sexualité des enfants », Hayez, Odile Jacob, 2004, p. 167 et suivantes.

4. Cfr foot-note 2 : ces types de fonctionnement sont décrits de façon détaillée dans l'ouvrage précité.

5. A noter qu'elle ne peut s'apprécier que pour la moyenne de la population. Il existe toujours l'une ou l'autre victime potentielle hypersensible, gravement traumatisable suite à une expérience que beaucoup auraient vécue comme mineure. L'inverse est vrai également.

6. Responsable et ici, ipso facto, coupable : être coupable, c'est être responsable d'un acte qui est interdit, mauvais, immoral.

7. Soi-disant ? Une véritable expérience-pilote est scientifiquement évaluée, et élargie à tout l'équipement nécessaire si elle s'avère positive. Chez nous, le terme est souvent galvaudé : expérience-pilote = saupoudrage qui ne s'étoffera jamais.

8. On peut arguer que mes chiffres esquissent un travail intensif et qu'il existe aussi des entretiens de groupe, plus économiques en temps ; d'accord, et je ne les défends pas à tout crin. Je veux simplement montrer qu'avec soixante temps-plein pour le volet « traitement psychologique », on est bien plus dans la logique de l'expérience-pilote que dans celle d'une réponse collective adéquate. Soit dit en passant, avec les quarante millions d'euros au bas mot que coûtera probablement la rénovation de Francorchamps, on pourrait engager quarante psychologues-psychothérapeutes pendant vingt ans.

9. Nous n'avons pas l'occasion de discuter ici de la minorité des cas qui pourraient ne pas être judiciarisés, entre autres pour des raisons pragmatiques ( la surcharge de l'institution judiciaire ). Ces cas nécessitent néanmoins toujours une reconnaissance sociale forte : certains cas d'incestes ; certains cas où l'auteur est mineur ...

10. Des amendes, proportionnelles aux revenus, pourraient être infligées aux collectionneurs d'images pédophiliques ( par exemple, dix euros, en moyenne, par photo ou par minute, vidéo trouvée ) ... et être reversées dans un fond d'aide aux victimes ...

11. Ceci ne signifie pas qu'il existe un clivage total entre l'institution d'aide et l'institution de contrôle social, mais plutôt une large indépendance. L'auteur doit savoir quel type d'informations l'institution d'aide transmettra à l'institution judiciaire. Le plus souvent, on peut s'en tenir à des informations sur la régularité de fréquentation.

12. Jean, 8, 1-11.