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Des travailleurs d’un service social m’écrivent:

Bonjour Dr HAYEZ,

Nous sommes des travailleurs sociaux d’un service d’Etat et effectuons le suivi de placement d’un jeune de 13 ans en famille d’accueil. Face à sa problématique d’auteur d’abus sexuels, cherchons auprès de vous une aide.

Ce jeune est placé depuis l’âge de 6 ans, il a vécu des violences intrafamiliales graves, physiques et probablement sexuelles de la part de sa mère.

Aujourd’hui, il ne peut rencontrer son père qu’en présence de travailleurs sociaux et ne voit plus sa mère.

Depuis ses 6 ans, il a posé des actes à connotations sexuelles. Ses actes qualifiés d’exhibition inadaptée à l’époque prennent un autre sens aujourd’hui.

Depuis l’été 2007, il commet régulièrement des viols, sur des enfants plus petits que lui.

Dernièrement, il a violé avec d’autres, sous la menace.

Nous avons signalé les faits au juge de la jeunesse et nous sommes dans l’attente d'une réponse.

Depuis fin octobre 2010, son accueil dans sa famille d’accueil s’est interrompu. Depuis, les solutions que nous trouvons ne sont que des familles d’accueil et de courte durée. Il a été accueilli dans 5 lieux différents en 3 mois.

Nous sommes en grande difficulté pour trouver un lieu où il peut être accueilli sans que les autres soient en danger.

Il a tenté des approches inadaptées avec des jeunes de son âge dernièrement.

Les psychiatres qu’il a rencontrés parlent de ce jeune comme un cas rare. Le jeune se présente en disant "je suis un violeur", il dit qu’il a des pulsions, des envies qu’il doit assouvir. Il dit ne pas penser au mal qu’il peut faire à l’autre mais uniquement au plaisir qu’il prend.

Il a une prescription médicamenteuse depuis novembre 2010, mais aujourd’hui nous n’avons pas de projet à court terme pour lui, ni de lieu d’accueil. Il n’est plus scolarisé non plus.

La psychiatrie ne peut pas lui proposer une hospitalisation.

Pouvez-vous nous aider à l'aider?

Je leur réponds:

Bonjour,

Appelons le jeune que vous accompagnez du prénom d’un politicien à la fois célèbre et "grand génital" à ses heures: John, Bill, Silvio ou encore Dominique ... Va pour John.

Il me semble qu’il est encore temps de l’aider à mûrir son projet sexuel, pour peu que tous les adultes concernés se coordonnent puissamment!

Voici ce que je vous propose:

  1. Réfléchir à nouveau à la signification et à la qualification de ce qui s’est passé. Au demeurant, tout n’est peut-être pas à qualifier de la même manière. Les étiquettes circulent et se fixent vite, et sont parfois reprises comme telles par les jeunes auteurs eux-mêmes, comme une sorte de "gloire noire". Il nous revient de ne pas assimiler ipso facto les données légales (définition criminologique du viol) et ce qui est vécu (par l’auteur et ceux à qui il s’est adressé) Cela vaut la peine de procéder à cette reconstitution des significations, le plus précisément que nous pouvons, à propos de chaque acte qui a été repéré. Dans le chef de John, il pourrait s’agir ici de vrais abus, là d’actes posés par un jeune sans retenue sexuelle, avec vagues victimes qui ne se plaignent que pour ne pas être punies (voir les chapitres consacrés à l’abus et à la sexualité sans retenue dans mon livre La sexualité des enfants) voire d’actes dont on doutera toujours de la portée abusive ou non (lire § III et IV de l’article «  Ados auteurs d'abus ou de pseudo-abus»)

    Pour mémoire, les signes les plus fiables des vrais abus, quand il n’y a pas flagrant délit, aveu par l’auteur - rare! - ou lésions sur la victime sont: la dénonciation spontanée par la victime (ou par des témoins fiables), la souffrance morale vécue et montrée par celle-ci, une description des faits d’une grande qualité, mettant clairement en scène la brutalité, l’emploi de la force, les essais impuissants de résistance; comme critères déjà moins fiables, il y a aussi la réputation de toute-puissance de l’auteur et une grande différence d’âge entre les personnes concernées.
    Peut-être cette recension patiente changera-t-elle en partie votre regard sur John.
    Mais je vais supposer maintenant que vous confirmerez qu’il s’est livré à de vrais abus répétés, dont la fréquence a même l’air d’augmenter avec sa puberté.
  1. Comme vous le suggérez, l’histoire de vie de John a probablement imprimé en lui des représentations et des germes de violence, jusqu’à cette catégorie particulière de "traces" où un être humain - lui en l’occurrence - a constitué le pur objet de la jouissance de l’autre, en ce inclus (probablement) de la jouissance sexuelle (et de sa mère, de surcroît!!) Et maintenant, c’est lui qui "extériorise" sur autrui ces sortes de modèles internes, avec sans doute une certaine pression à la reproduction, mais pas nécessairement sur un mode compulsif c'est à dire sans qu’il ne lui reste aucune liberté de choix. S’il a été lui-même répétitivement objet d’une jouissance aveugle, pendant longtemps encore il ne pourra pas intégrer la réalité de la souffrance des victimes: ça n’est pas assez en résonance avec ses réalités intérieures à lui: cette souffrance, il n’en a provisoirement que faire comme on a ignoré la sienne jusque ses six ans!
    D’où l’intérêt énorme de l’entourer, lui, aujourd’hui, de beaucoup de respect (pour tout ce qui est possible dans ce qui émane de lui), d’écoute, de délicatesse, de non-violence. Valeur réparatrice lente et sûre, qui, à la longue l’ouvrira à ce que vit l’autre: il ne pourra donner un jour que ce qu’il aura finalement reçu et intégré! Attention donc à ceci: si l'on commence à l’exclure du lien pour ses comportements, lui va continuer à exclure l’autre de ses pensées!
  1. Viser une modification partielle de son "projet" sexuel
    L’objectif ici recherché est positif (et pas simplement restrictif): A l’instar d’un coach, je viserais à entraîner John à vivre clairement la sexualité et le plaisir sexuel qu’il dit aimer, mais en leur donnant un cadre sociable: Il restera peut-être "simplement" un jeune sans beaucoup de retenue, une "bite sur pattes" comme ils disent entre eux; mais au moins, qu’il ne commette pas d’abus; qu’il ne fasse pas souffrir ses partenaires par son égocentrisme; qu’il tienne compte du droit au consentement et au plaisir de ceux-ci. Par ailleurs, ce serait souhaitable aussi que ce soit lui qui décide, qui commande la réalisation de ses pulsions et pas l’inverse!!

Comme vous le verrez en lisant les applications ci-dessous, un tel projet peut paraître choquant. Mais je trouve qu’il est réaliste, pragmatique et adapté à l’histoire de vie et aux motivations de John. C’est bien plus souvent nous qui sommes à côté de la plaque avec nos projections politically correct, quand nous imaginons que nous allons faire de tous les ados perturbés, moyennant un peu d’éducation sexuelle et de thérapie, ce que nous indiquent nos représentations à nous: de braves petits branleurs, consultant en cachette la pornographie du Net, et avançant lentement vers leur "première fois ... mais plus tard bien sûr quand ils seront assez grands".

Pour que cet objectif s’opérationnalise, il faut:

  1. La collaboration de John à ce projet, qui lui serait bien expliqué. Accord de principe d’abord, avec davantage de "oui" que de réticences, et évaluation régulière de ce qu’il en est ensuite sur le terrain. On doit lui parler de la partie "positive" du projet (trouver des champs de réalisation pour son Soi-sexuel), mais aussi des risques à continuer comme maintenant: si John continue comme maintenant, il va au devant de gros ennuis à court terme (sanctions désagréables; maison judiciaire fermée, hôpital psychiatrique pour ados violents, entre autres sexuellement, comme celui de Maurice Berger à Saint-Etienne) Ce serait donc plus chouette et plus prudent pour lui de s’habituer à se donner du plaisir sexuel sans le risque d’être blâmé, stigmatisé et lourdement sanctionné ...

    Donc, bien parler de l’offre et essayer de créer une demande centrée sur la prudence et la réalisation d’une sexualité acceptable, sans toutefois que l’adhésion de John à l’idée soit artificielle. S’il n’en veut pas, on se contentera de contrôle social (cf. infra), d’éventuelles mesures judiciaires, d’un peu d’éducation sexuelle.
  1. Un magistrat qui, au moment où il voudra prendre position, adhère à l’ensemble du programme pour des durées réévaluables, se coordonne avec les autres intervenants et qui ne fait donc pas cavalier seul dans une pure logique sanctionnelle.

    Ceci dit, c’est plutôt à lui que revient la décision de sanctions constructives s’il a déjà existé des abus avérés. S’il tarde trop, les responsables éducatifs pourraient anticiper.

    Rappelons que la colère et l’exclusion ne sont en rien des sanctions constructives: elles font naître désespoir et volonté de provocation.

    Une sanction constructive est une sanction qui a du sens, qui inclut une certaine pénibilité d’exécution, et où l’on soutient le jeune si nécessaire pour son accomplissement, par exemple via une certaine présence à ses côtés. Ce pourrait être un certain nombre d’heures de travail utiles, et dont l’éventuel bénéfice financier serait versé à une œuvre sociale.
  1. Un psychothérapeute qui:
    • dans son vécu personnel et son contre-transfert, s’avère: pas "coincé", aimant bien le sexe; capable d’en parler simplement, très concrètement avec une pointe d’amusement; pas pervers (pas de passage à l’acte transgénérationnel avec son jeune client, of course; mais aussi, désapprobation claire si John continue à faire du mal à l’autre); pas légaliste non plus (Un exemple: si, à court terme, John couchait avec consentement mutuel avec un ou une ado de la tranche d’âge 13-18, voire avec un adulte qu’il aurait dragué sur le Net, ce pourrait être un vrai progrès pour lui qui jusqu’à présent abusait de petits ... on doit pouvoir accepter des transgressions sociales qui ne sont pas des transgressions des lois humaines fondamentales et qui, ici, conduiraient à des habitudes sexuelles moins à risque)
    • se montre capable de combiner des éléments de thérapie d’introspection et d’autres, de sexologie cognitiviste: j’y reviendrai en annexe 1
    • soit capable d’une confidentialité bétonnée, et autorisé par les autres à s’y tenir (Il pourrait fonctionner comme en Allemagne: On n’en sort que s’il existe de graves menaces pour la vie ou l’intégrité physique d’autrui et que la thérapie ne permet pas d’y remédier. En deçà, le thérapeute devrait se taire, pour que John ait confiance et, le cas échéant, puisse parler de récidives face auxquelles il pourrait alors réfléchir sereinement avec le psy à ce qu’elles aillent vers lueur extinction. Si John n’investit pas la thérapie ou l’utilise de façon perverse, le thérapeute peut y mettre fin, en en avertissant les autres mais sans sortir de la confidentialité)
    • soit susceptible d’être appelé en urgence pour des motifs bien précis (par exemple, John n’en peut plus face à une pulsion sexuelle dont la réalisation est inacceptable ... il devrait pouvoir en parler en urgence à son psy)
  1. Un contrôle social effectif, émanant de vos services ou/et de ceux du Tribunal, vraisemblablement in fine sous mandat judiciaire.

    Ce contrôle commence par l’interdiction de toute récidive d’abus et par le recours à de nouvelles sanctions constructives si désobéissance. Pas de menaces ni d’escalade néanmoins!

    Il se centre sur l’interdiction faite à John de se mettre dans des situations à risque d’abus:
    • Par exemple, pendant une durée indéterminée, John ne peut jamais se trouver seul avec seulement un ou deux enfants d’au moins trois ans plus jeunes que lui (toilettes d’école ou de lieu public - s’il a une urgence, qu’il aille plutôt pisser contre un arbre! -, chambre, promenade, etc.) 
    • John ne peut pas aller voir de la pornographie clairement fondée sur la violence. 
    • Des entretiens d’évaluation réguliers doivent avoir lieu avec John. Le contrôle doit s’exercer avec une vigilance efficace, sans effritement, ni démission ni ingénuité.
  1. Une famille d’accueil sans enfants jeunes et pas "coincée" (par exemple, ne pas hurler si l’on constate que John consulte occasionnellement de la pornographie "ordinaire" ... ou s’il drague (et plus si affinités) des jeunes de son âge ou plus âgés.

    Il faut aussi pouvoir offrir à John une ambiance attractive, avec de multiples occasions de dépenser son énergie vitale. 

Plus l’ensemble de ces composantes sera réuni, plus il y a de chances que John fasse évoluer son projet sexuel dans une direction plus sociable.

Annexe à propos de la conception de la psychothérapie

Je me limiterai à évoquer les parties spécifiquement centrées sur le projet sexuel. D’autres dimensions de soutien, d’introspection, de partage d’idées communes à toute psychothérapie d’adolescent doivent également exister. Il serait catastrophique de réduire John à sa déviance sexuelle débutante. Ce qui est spécifique : 

Dimension d’introspection - L’aider à faire des liens passé-présent: Il a probablement été traité "comme rien" ou comme objet sexuel, et il lui en reste des représentations et traumatiques et qui l’ont perverti (envie de "remettre le couvert"). Le faire se souvenir surtout des moments pénibles que lui a vécus. Essayer de susciter sa colère et son indignation.
Lui montrer que sa liberté de choix reste présente: John décide de privilégier son plaisir (comme on l’a fait avec lui) mais il pourrait faire autrement, par exemple pour garder l’estime de ceux qui croient en lui ou pour ne pas avoir de gros ennuis; ne pas tabler sur la souffrance des victimes maintenant!

Dimension sexo-cognitiviste - Entraîner John à élaborer une sexualité à la fois effective et socialement acceptable, via des questions, invitations à penser et centrations du discours concrètes et explicites.

La check-list suivante n’est ni exhaustive, ni évidemment à passer en revue en une fois:

Quelles activités sexuelles trouve-t-il normal à son âge? Et dans le futur? Envisage-t-il de draguer, puis d’avoir des relations sexuelles avec des gens de son âge ou plus âgés? Comment va-t-il s’y prendre? ⇒ en discuter avec lui.

  • Quels sont ses fantasmes masturbatoires les plus récurrents? Peut-il modifier ceux qui s’avéreraient préoccupants?
  • La pornographie l’aide-t-elle à se stimuler sexuellement? Laquelle? L’aider à faire des tris.
  • Est-il parfois "pressé" de plonger sexuellement sur un plus petit? Pourquoi? Pour le plaisir sexuel facile ou/et pour la joie de dominer, de faire souffrir[1]? Quelle alternative utiliser alors? (se changer les idées ... trouver un refuge discret vite fait pour aller se masturber rapidement ... téléphoner à son psy: trouver des idées concrètes avec lui)

 


[1]Si cette dernière motivation existe, c’est la plus préoccupante! L’aider à la comprendre en référence à son passé, l’inviter à y renoncer, pour ne pas être, lui "comme ça"; lui donner des occasions sublimées de diriger d’autres.

 

 

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