L'Institut international des droits de l'enfant(4) m'a demandé récemment l'éditorial que voici :                                                  



« Michaël Jackson est accusé d'attouchements sur la personne d'un garçon de onze ans qui dormait à ses côtés. Le débat d'avocats à ce sujet sera très rude et la Justice américaine tranchera. Mon opinion personnelle est que les faits ont eu lieu : mon intelligence se sentirait insultée de ne pas le penser. Le chanteur a déjà démontré à trop de reprises son immaturité et sa carence affective pour imaginer l'inverse, dans une situation de promiscuité qu'il avait créée de toute pièce. Si la Justice partage cette analyse, on le sanctionnera donc ; j'espère aussi qu'on lui demandera de se faire soigner, car sa dimension « malade » est probablement bien supérieure à sa dimension « pervers ». Néanmoins, il savait ce qu'il faisait, et j'espère donc qu'il aura des comptes à rendre, comme tout adulte qui s'embarquerait dans de la sexualité intergénérationnelle. 

 



Mais je ne souhaite pas que l'on fasse de Michaël Jackson un bouc émissaire, et de l'enfant concerné – comme de sa famille - ipso facto d'innocentes victimes. Eux aussi, ont vraisemblablement des comptes à rendre à leur conscience.

Les parents, pour ce qui est davantage qu'un manque de prévoyance !

Et le préadolescent ? Va-t-on se coucher à onze ans, en ce troisième millénaire, dans le lit d'un homme à la réputation déjà douteuse, et ceci en toute ingénuité ? J'ai peine à le croire.

Oui, la sexualité des enfants existe (4) ! Oui, à onze ans, on peut avoir envie de séduire un adulte et de s'offrir à lui. Oui, à onze ans, on peut vivre comme un souvenir positif cette expérience exceptionnelle qu'on a faite : avoir le sexe touché par les mains de son idole !

Et après, on peut revenir en arrière, regretter et accuser, avec ou sans la pression de ses parents. 

Si les choses se sont passées ainsi, Michaël Jackson – l'apparent adulte de l'histoire - a toujours bien des comptes à rendre. Mais le jeune aussi, face à lui-même, devrait prendre la mesure de ce qu'il a fait et assumer sa part de responsabilité. Et sa famille et la société, l'y aider plutôt que tout dénier.
     
Quant à l'argent qui est réclamé, je puis imaginer qu'une petite part en soit investie pour ramener davantage de paix dans le psychisme de l'enfant et de sa famille mais, pour dissiper toute suspicion, la majeure partie devrait repartir vers des œuvres sociales ... sinon, le statut de victime me semblerait à son tour bien perverti ! »



Commentaires                                                                                   



C'est un article difficile, dans lequel je lève un tabou qui a la vie dure chez tous ceux qui veulent protéger les enfants : ceux-ci sont-ils toujours à considérer comme d'innocentes victimes, terrorisées ou radicalement trompées par les adultes qui ont des rapports sexuels avec eux ? Je ne pense pas que l'on puisse généraliser ! Pour bien comprendre mon propos, il faut distinguer :

 le plan du droit, qui, notamment en matière pénale, cherche à objectiver et n'aime pas les " zones grises " ;

 et le plan de la psychologie, qui se doit d'intégrer la subjectivité des relations humaines dans toutes ses nuances, même les plus impalpables. 



QUE NOUS DIT LE DROIT ?

 

Le droit affirme à juste titre que, en-dessous d'un certain âge de l'enfant, la notion de consentement ne peut pas intervenir dans l'évaluation de la gravité de l'acte sexuel de l'adulte commis sur cet enfant : il y a présomption irréfragable (6) de non-consentement jusqu'à cet âge, c'est-à-dire assimilation du rapport sexuel avec le viol. En droit belge, par exemple, cet âge est fixé à quinze ans. Dès le moment où la question posée n'est pas celle de l'éducation du jeune, ni celle des soins éventuels à lui prodiguer, mais celle de la sanction à opposer à l'adulte au nom de la société, l'interdit doit donc être réaffirmé. Il en va de même de la responsabilité pénale, à assumer à 100% par l'adulte, du moins par tout adulte lucide et libre intérieurement au moment des faits.

A défaut, on ouvrirait une brèche équivoque dans laquelle tous les violeurs du monde ( et avec eux, les adeptes d'une " pédophilie bien comprise ", soi-disant " épanouissante pour l'enfant ") ont toujours tenté de se glisser plus ou moins subtilement. Cette brèche, c'est celle de la justification défensive sur le thème du consentement, voire de la contre-attaque sur le thème de la responsabilité de la victime.



ET SI L'ON SE PLACE DANS UNE PERSPECTIVE D'EDUCATION OU DE SOINS PSYCHOLOGIQUES ?



Responsabilité psychologique et responsabilité juridique ne sont pas superposables.

La première relève du for intérieur de l'enfant.

Face à une sollicitation sexuelle faite par un adulte, tous les enfants ne sont pas de pures victimes qui disent " Non " dans leur coeur, sans toujours oser l 'exprimer. Certains sont partagés, ambivalents et d'autres franchement intéressés à l'idée d'une activité sexuelle transgénérationnelle.

Intéressés par quoi ? C'est variable ! Le plaisir parfois, ou alors le profit matériel, ou encore le fait de faire comme les grands, d'être au centre de l'affection d'un adulte, de déstabiliser un adulte faible et d'être plus fort que lui dans l'art de la séduction, etc ... Il ne faut pas se voiler les yeux, de telles motivations sont susceptibles d'exister, à tous les âges de la vie.

J'ai dit plus haut qu'elles ne supprimaient pas la responsabilité pénale ni morale de l'adulte concerné, qui devrait remettre ces enfants à leur place. Réciproquement, si l'on pense que semblables motivations sont à l'oeuvre chez l'enfant, la communauté des adultes, à commencer par ses parents, devrait lui rappeler ce qu'est une sexualité positive pour son âge : c'est à tout le moins celle qui s'exerce en monogénérationnel !

Voilà pourquoi, dans mon éditorial, j'ai fait l'hypothèse qu'un enfant de onze ans partageant le lit de Michael Jackson aurait pu - aurait dû ! - trouver en lui la force de dire " Non ". S'il ne l 'a pas fait, la société ne l'aide pas, ni lui, ni sa famille, en en faisant une victime passive qui n'aurait aucun compte à rendre à sa conscience.

 

Notes. - 


(3). Organe de l'Etat belge francophone chargé de la supervision de la politique en matière de maltraitance.

(5). Lire par exemple : J.-Y. Hayez, La sexualité des enfants, Paris, Odile Jacob, 2004.

(6). " Irréfragable " signifie " indiscutable ", " impossible à renverser ", " dont la preuve inverse n'est pas productible "...


2e volet de l'article: Michael Jackson est acquitté.

 

... Michael Jackson Another Hary of Me ...

 

 


D
ans un article daté du 16 mars 2005 et intitulé " A onze ans dans le lit de Michael Jackson ", j'émettais mon opinion à propos des enjeux de cette triste affaire. Cette discussion me semble toujours valable aujourd'hui. J'ai joint cet article en italiques à la suite de celui-ci.

Ce 13 juin 2005, la vérité judiciaire s'est exprimée dans l'affaire Michaël Jackson et le chanteur a été innocenté des suspicions d'abus sexuel sur mineurs qui pesaient sur lui.

C'est de la construction de cette vérité judiciaire que je veux dire quelques mots : elle n'émane pas centralement de magistrats américains, mais d'un jury populaire, de citoyens comme vous et moi. Ils ont pris la peine de réfléchir pendant toute une semaine (2) à ce qui, une nouvelle fois, opposait la parole d'un jeune adolescent et de ses défenseurs à celle d'un adulte suspect et de ses défenseurs.

Sept jours, c'est beaucoup ! Sans doute est-ce lié à la notoriété du suspect, et l'on peut regretter que le même soin ne soit pas apporté à d'innombrables autres affaires, partout dans le monde !

Ça montre à l'évidence combien il est délicat, et parfois impossible, d'arriver à la certitude intérieure suffisante et sereine soit de l'innocence d'un suspect, soit de sa culpabilité. Je suis persuadé que c'est bien en référence à cette incertitude rémanente qu'il faut entendre le verdict : « Nous déclarons que M. Jackson est innocent parce que nous ne pouvons pas avoir, ensemble, une certitude suffisamment forte qu'il a commis la faute qui lui est reprochée. » Si tel est le cas, encore faut-il que le verdict d'acquittement, lui, soit rédigé au bénéfice du doute. Ce ne serait donc pas un blanchiment pur et simple! Si, ce doute existant, les magistrats n'avaient pas la correction d'en tenir compte, alors, ce serait du massacre pur et simple de la parole des victimes, pour peu qu'elles ne soient pas totalement convaincantes.

A cette restriction essentielle près, il me paraît bien que joue le principe très précieux en démocratie de présomption d'innocence. (3) Je n'ai suivi l'affaire que de loin, mais je puis comprendre cette prise de position pour peu que soient bien exact des éléments d'information qui ont circulé dans le grand public : rétractations de trois des enfants accusateurs sur quatre ; moment de rétractation, à l'école, face au directeur, du jeune adolescent restant l'accusateur principal parce que, a-t-il dit par après, il en avait marre que ses copains se moquent toujours de lui.

Moi qui m'occupe beaucoup d'aider les enfants abusés et leur famille, je constate avec tristesse ce qui suit : même - et peut-être même surtout - lorsque les faits ont bien eu lieu, le discours de révélation est imparfait, imprécis, porteur de contradictions au moins sur les détails ; il y a des moments d'hésitation, voire de rétractation. La rétractation existe souvent lorsque ces enfants ont bien pesé le pour et le contre en eux, et qu'ils commencent à comprendre que leur vie risque être bien plus pourrie s'ils persistent à proclamer ce qui s'est vraiment passé que s'ils laissent tomber.

Et de toute cette imperfection, les avocats de la défense du suspect ne font qu'une bouchée ; et ceux qui ont à juger, jurys ou magistrats, hésitent en leur âme et conscience et se réfèrent finalement à la présomption d'innocence.

C'est pour toutes ces raisons que je suis très dubitatif quant à l'efficacité de l'intervention judiciaire quand il ne reste pour éléments de preuve que la parole de l'enfant. Je l'ai exposé en détail dans mon article intitulé Maltraitance contre les enfants en Belgique francophone(4). 

Cette affaire Jackson en est une illustration très préoccupante. C'est que, en dehors du peu de temps où le préadolescent s'est rétracté à l'école, il semblait courageux, persistant, déterminé, et malgré tout on ne l'a pas cru. Mais alors que se passe-t-il quand on a à faire à des enfants hésitants, anxieux et ambivalents ou tout simplement d'âge préscolaire ?

J'ai beaucoup de chance de vivre en Belgique, où une certaine latitude d'appréciation est laissée aux professionnels pour qu'ils décident de la prise en charge qui leur paraît la plus féconde, avec ou sans judiciarisation. La tyrannie du signalement judiciaire obligatoire est moins oppressante dans notre pays que chez nos grands voisins : les belges ne l'accepteraient pas ! Dans l'article précité, je décris en détail les attitudes personnelles, relationnelles et sociales que je trouve potentiellement les plus fécondes pour faire face à l'abus sexuel :

 - renforcer la confiance en soi des enfants pour qu'ils sachent dire non, davantage qu'ils ne le font maintenant, à tous ceux qui veulent abuser d'eux ;

 - créer des solidarités sociales locales ; encourager l'entourage direct de l'enfant à s'interposer comme une force tranquille entre celui-ci et ceux qui veulent abuser de lui ;

 - réserver la judiciarisation aux cas les plus graves, les plus rebelles, les plus dangereux, les plus crapuleux.

A procéder autrement, pense-t-on à l'effroyable traumatisme secondaire que l'on inflige régulièrement à des enfants qui avaient été trop confiants dans l'aide de la société et qui n'ont rien reçu du tout ? Pense-t-on au traumatisme secondaire qui accable maintenant le jeune adolescent qui avait osé dire tout haut que Michaël Jackson s'était mal conduit avec lui ? (5)

- Notes. - 


(2). Dans la suite du texte, je supposerai que tous les jurés étaient honnêtes c'est à dire qu'il n'y a pas eu, pour l'un ou l'autre, ce « dessous des cartes » qu'on nous montre parfois dans les films de fiction. Ne voulant être ni paranoïaque ni ingénu, je suis incapable d'apprécier les probabilités d'occurrence de cette éventualité la plus simple.

(3). J'ai néanmoins une autre restriction, encore plus fondamentale, indépendamment de l 'affaire Jackson: il ne faut pas que la référence à la présomption d'innocence devienne un refuge frileux ou une manière commode de protéger le confort des adultes contre les enfants; ce n'est pas vrai qu'on a toujours à faire, sans critères d'évaluation, à la parole de l 'enfant contre celle de l'adulte! Il existe des techniques bien validées de recueil et d'analyse des déclarations de l 'enfant qui, dans un certain nombre de cas, amènent de fortes convictions positives, même si elles ne seront jamais, par définition des preuves matérielles objectives, les tribunaux devraient pouvoir alors les retenir comme éléments suffisants !


(5). En mars dernier, j'émettais l'hypothèse que, si les faits avaient eu lieu, ce jeune avait peut-être sa part de responsabilité dans leur déroulement ... Officiellement, on doit dire que les faits n'ont pas eu lieu et donc que toutes mes hypothèses étaient sans fondement ... mais, dans le cadre de mon imagination débordante, représentons-nous un adolescent d'abord quelque peu co-responsable, puis qui se reprend et dit Non, puis qui révèle ... puis qui s'entend dire qu'il a tout inventé ... Bonjour les dégâts psychiques !