Comme toute rencontre, la rencontre analytique est d’abord une affaire de personnes réunies ensemble dans un lieu et un temps donné généralement demandé par une personne. A la différence d’une rencontre ordinaire elle en réfère au déploiement d’un champ particulier, celui de la psychanalyse avec ses règles et ses attentes
L’enjeu est pour l’un de faire état de son malaise, de son histoire, et pour l’autre d’évaluer une demande, d’écouter l’inconscient, de se poser la question de l’analysabilité. Dans cette situation d’emblée dissymétrique, l’analyste comme le patient « réagit » à la présence de l’autre. L’un parle ou se tait et attend quelque chose, l’autre écoute ou relance
« Une rencontre pas comme les autres [1]!! »
IL me semble intéressant et proche de la réalité d’évoquer plutôt la relation analytique en ce sens qu’elle est la rencontre entre deux psychismes, deux mondes internes, deux histoires originales j’ose dire originaires, ce qui fait penser « au journal intime à deux », terme essentiellement paradoxal !!
Si la relation analytique est un journal intime à deux, le scripteur ne peut être que l’analysant
Il vit, dans son travail psychique ce qu’il perçoit de son monde interne, rejouant dans l’actuel du transfert, son histoire infantile, les traumatismes et angoisses qui s’y rattachent et tout ce qu’il imagine dans « le hic et nunc » de la situation.
Dans son travail, entre en jeu, l’apport de ce qu’il imagine et ce que laisse transparaitre l’analyste de son monde interne, consciemment ou pas
La grande différence est que l’analyste ne fait pas part à son analysant de ses sentiments qu’ils soient négatifs ou positifs par rapport à lui bien sûr, mais il ne devrait même pas montrer ses pensées ou ses sentiments quels qu’ils soient .Il devrait se présenter comme un « mur de silence et d’invisibilité » comme disait Francis Pasche
Mais il n’est pas un « robot » et heureusement. ! Il éprouve des sentiments qui se modifient au cours des séances et qui transforment son propre monde interne et participent à la création du journal intime à deux de son patient
Une autre différence qui est de taille c’est que l’analyste a plusieurs patients dans son cabinet ce qui lui permet de « jouer » sa partition sur différents registres, l’analysant n’a généralement qu’un analyste à la fois sinon ce n’est plus une analyse
Si dans toute relation significative, comme dit Paul Denis, l’investissement est en emprise et en satisfaction, la relation analytique n’échappe pas à ce concept
La règle fondamentale énoncée par l’analyste, le contrat du cadre proposé, peuvent apparaître et sont des mesures d’emprise proposées par l’analyste : contrat à prendre ou à laisser.
Une fois posé et accepté, ce cadre garantit aux deux protagonistes qu’il n’y aura pas d’autre emprise.
Du côté de l’analyste : séduction, agression, pressions diverses et subtiles qu’on connaît, sont interdites
L’analysant s’engage aussi à ne se servir que de la parole à dire ou garder le silence, à respecter le temps, les horaires convenus à l’avance, le paiement, tout ce qui définit le cadre. Bien sûr pour ce dernier il peut y avoir ce qu’on appelle des « Acting » des distorsions du cadre suivant son histoire personnelle actuelle ou passée , ses angoisses , son humeur du moment . A l’analyste de savoir suivant sa compétence gérer cela.
Si le psychanalyste est « gardien du cadre » comme dit Michel Fain , je pense que pour qu’un travail psychique puisse avoir lieu, il faut que ce cadre soit tenu tout le long des séances et les écarts de l’analyste devraient rendre caduque tout travail
Je pense mais ces propos n’engagent que moi et ne sont sans doute pas partagés par la communauté analytique que tout manquement au cadre de la part de l’analyste nuit gravement à nos professions-et devrait le disqualifier tout à fait . « Tous pourris » comme on dit volontiers des politiques alors que seuls un petit nombre faillit à sa tâche,- il en est de même sans doute des analystes mais cela parait plus grave car comme les enfants, les analysants sont en situation de vulnérabilité.
Le dispositif divan fauteuil
Si par décision de Freud la disposition divan fauteuil a voulu inaugurer la relation analytique, ce dispositif qui soustrait l’analyste au regard du patient pour lui permettre de lui substituer le langage favoriserait ainsi l’accès à son monde interne et à remémorer un passé dans l’actuel de la cure. Cela ne parait pas toujours pertinent. Les raisons personnelles conscientes ou inconscientes de Freud pour élaborer ce dispositif ont sans doute étaient multiples et nous les ignorons.
Soustraire à la vue de l’analysant l’analyste pour lui permettre de mieux élaborer, peut sans doute être un avantage pour certains patients, mais il faut aussi considérer que l’analyste voit son patient couché et cela ne doit pas non plus lui être indifférent !! et on en parle peu !!
Quoiqu’il en soit, pour avoir rencontré de nombreux analysants qui ont « gouté aux deux formules », l’une n’est pas nécessairement meilleure que l’autre et la comparaison est loin d’être simple et mériterait un travail approfondi qui me semble n’avoir été fait que superficiellement dans la communauté scientifique
Le face à face c'est-à-dire le regard croisé entre analyste et analysant implique une emprise réciproque
La différence entre les deux c’est que l’analyste doit regarder son patient alors que l’analysant peut promener son regard où il veut dans la pièce où ils sont ensemble.
Pour l’analysant selon les moments, les émotions qui surgissent en lui, son regard peut se fixer sur l’analyste pour ne pas se perdre et se sentir soutenu comme un bébé a besoin du regard de sa mère pour se sentir exister. Lebovici disait volontiers que l’objet était investi avant d’être perçu
L’étayage par le regard, porter attention sont souvent indispensables comme appui pour qu’une enveloppe psychique puisse se tisser une « peau psychique » dirait Anzieu
Une patiente qui avait interrompu brusquement une analyse et qui venait me voir en entretien me disait « Oh ici je suis sure que vous faites attention à moi, parce que l’autre par derrière peut-être qu’il lisait »
Cette possibilité parait essentielle à des moments de régression, particulièrement sans doute pour des patients ayant des vécus d’abandon.
Mais il a toujours le loisir de détourner son regard de l’analyste quand parfois des vécus traumatiques font irruption .IL a aussi besoin de s’appuyer sur un autre support qu’il choisit : un tableau appartenant à l’analyste qui prend pour lui une signification, une lampe, des fleurs ou un mur blanc… La pièce aménagée par l’analyste fait partie pour l’analysant du cadre et on sait comment les déménagements prévus ou pas vont intervenir dans le déroulement du travail, et souvent le perturber
Pour l’analyste sa position derrière le fauteuil est sans doute plus confortable encore que !!!
On peut penser que la vue et le regard croisé avec son patient peut l’aider dans un investissement bienveillant faisant écho en lui à ce qu’il a de plus intime qu’il a su élaborer pour lui-même , l’aider à comprendre mieux son patient , sans oublier les effets négatifs dans les deux cas .
Un exemple particulier et assez fréquent est le sommeil ou l’assoupissement de l’analyste ; Il est perçu de manière très différente bien sûr par l’analysant selon sa position. En position couché l’analysant peut ou pas s’en apercevoir. En face à face, sauf à être aveugle !!il ne le peut pas.
Sa réaction pourra être très diverse selon les moments de son analyse mais cela parait toujours perturbateur et aura un impact dans le déroulement de la cure. Cet incident ou accident pourra être utilisé par les protagonistes dans la progression de la cure.
En ce qui concerne l’analyste cet incident qu’on peut nommer « acting involontaire mais irrépressible » aura des effets sur son contretransfert.
Si l’assoupissement ou le sommeil gagne l’analysant –ce qui est sans doute beaucoup plus rare – cela joue aussi dans la relation transfero-contretransferentielle, et devra être prise en compte
Claude Janin[2] évoque le dispositif fauteuil divan dans son article sur les traumatismes psychiques
” le psychanalyste essaye toujours d’évaluer quel est le cadre le mieux approprié au travail psychanalytique : il s’agit, en cette occurrence, « de savoir si le mode de communication avec l’autre, qui facilite la communication avec soi-même et l’inconnu en soi-même, passe ou non par la perception de l’interlocuteur en face à face ». Il est en effet prudent de penser que dans les configurations psychiques ou événementielles au sein desquelles l’expérience traumatique a particulièrement laissé le sujet démuni et seul, il peut être utile que celui-ci fasse, par le biais des interactions visuelles et posturales avec son analyste, l’expérience que ce dernier peut être “saisi” et “touché” par ce qu’il évoque en séance, et qu’ainsi cet analyste est capable de “saisir” et de “toucher” chez son patient ce qui l’a, lors de la survenue de l’expérience traumatique, particulièrement bouleversé ou désorganisé
Pour conclure sur le « regard et son impact » il semble que dans la littérature analytique il n’y ait pas eu beaucoup d’écrits sur ce sujet et bien des analystes expérimentés devraient en faire un sujet d’étude : en effet le regard peut être curieux, étonné, bienveillant pénétrant ou cruel ou bien d’autre encore !!!
C'est toujours dans les yeux qu'on voit si les gens sont tristes (Katherine Pancol)
Je dirai volontiers : C’est toujours dans les yeux que les gens sont le plus vrai
Pour en revenir à la situation analytique même « mon patient, mon analyste » une emprise minimale s’exerce toujours et semble nécessaire pour le déroulement de la cure une emprise « bien tempérée »
Encore faudrait-il définir ce terme qui est essentiellement subjectif
Jl Donnet a parlé de « site analytique » ce terme peut convenir car notre imagination peut le peupler de paysages merveilleux ou terrifiants de notre enfance revisitée
Beaucoup d’auteurs se sont penchés sur cette relation curieuse entre analyste et analysant
Francis Pasche[3] parle de la fonction parentale de l’analyste en parlant de l’asymétrie de la relation il récuse le terme même d’ « analysant » lui préférant celui d’analysé
Jl Donnet[4] parle ainsi de l’analyste « Non l’analyste n’est pas un miroir, un écran neutre, c’est moins avec ses connaissances et son expérience dont il ne faut pas nier le rôle qu’avec son contretransfert que l’analyste fait l’analyse »
Paul Denis parle de « anti objet » (1988) Michel Neyraut d’objet virtuel »(1974) il semble peut être qu’ « ‘objet de substitution »parait plus adéquat ; en effet tout au long de la cure l’analyste représente pour le patient tous ses « objets aimés et significatifs »
En ce qui concerne le silence ou la parole de l’analyste beaucoup de choses ont été dites, qui relèvent peut-être de l’évolution de la technique mais aussi de l’évolution du temps et des modes !!
Le silence, l’impavidité, ou l’abondance des mots peuvent être aussi des formes d’emprise aussi bien chez l’analyste que chez l’analysant
Le terme « travail psychique » comme on emploie « travail de deuil » est sans doute complexe, nécessite engagement et effort mais aussi satisfaction et plaisir …
Pour l’analyste qui s’engage il faut sans nul doute qu’il y trouve satisfaction pour lui-même dans un gain narcissique et dans la satisfaction d’être utile et porteur de bien-être. Si Freud et ses descendants refusent le mot guérison il me parait de simple bon sens de penser que tout analyste souhaite et œuvre pour le mieux-être de son patient. Il y a pour la plupart le plaisir à transmettre, le plaisir dans le travail à sublimer : la sublimation étant le chemin de l’inventivité et de la création, à co créer « une nouvelle histoire de vie » car comme dit Balzac [5]
Cela pourrait être une belle illustration de ce qui se passe dans la relation analytique et qui apporte satisfaction et plaisir aux deux partenaires
Enfin il est indispensable que pour l’analysant il y trouve satisfaction.
Satisfaction dans le plaisir à être écouté sans craindre rétorsion ou jugement à dire ou ne pas dire
‘L’invitation de l’analyste à dire « tout ce qui passe par la tête » est un leurre !! le silence peut -être interprété selon les moments comme une résistance, mais aussi comme un « plaisir à retenir »ou du moins une satisfaction pour le patient
Plaisir et satisfaction de trouver les mots qui libèrent, de transformer des blessures en force de vie, d’être familiarisé avec son monde interne et de gain narcissique avec une confiance en soi trouvée ou retrouvée
Un patient écrivait « A chaque séance je recharge mes batteries par un carburant narcissique »
Plaisir de revisiter son enfance, cette invention qui nous poursuit dont la perte nous hante parfois, qui a pu nous persécuter mais qui reste pour chacun un champ d’expériences susceptibles d’offrir de nouvelles voies dans notre chemin de l’existence
En 1947 après une guerre qui avait anéanti d’innombrables innocents Georges Bernanos écrivait un vibrant hommage à l’enfance « je pense que plus jamais l’enfance est aujourd’hui la dernière réserve du monde, sa dernière chance » Il écrivait aussi « Je suis fidèle à l’enfant que je fus qui pour moi maintenant est comme un aïeul[6]
Le travail analytique permet de garder en soi le parcours revisité de son enfance. Comme dit le Petit Prince « toutes les grandes personnes ont été des enfants mais bien peu s’en souviennent »
Il semble que le travail essentiel et positif de cette relation analytique est de se libérer de ses contraintes internes même si on ne sait pas toujours où elles se situent.
Il restera toujours des limites (le paradis sur terre n’existe pas) mais on connaitra mieux ses limites et on les assumera. Rester soi-même, sans rester le même est un formidable gain dans l’acquisition d’une plus grande liberté
Chacun trouvera son« jardin de plaisir » et pourra le cultiver. Il faudra faire sienne la maxime de A Camus[7] :
« L’important n’est pas de guérir mais de vivre avec ses maux »
On a pu dire que dans cette symphonie à deux dans cette nouvelle naissance, l’analyste pourrait être l’accoucheur, je pense plutôt, que c’est le processus analytique lui-même qui en est l’accoucheur
La psychanalyse elle-même, bien conduite pourrait alors avoir encore de beaux jours devant elle. !!
Si la vie n’est pas un long fleuve tranquille, cependant si on est bien amarré la traversée est plus facile. Parfois la relation analytique peut réparer les amarres !!!!
Il faut savoir accepter ce qu’écrivait A Camus : I y a dans chaque être humain un coin de solitude que personne ne peut atteindre »
Ainsi le temps aura la couleur de nos rêves !!
Notes
[1] François Richard dans La Revue Française de Psychanalyse 20007 n° 2
[2] Claude Janin : Les traumatismes psychiques leur impact, le traitement Revue Française de Psychanalyse 2014
[3] Entretien avec Denys s Ribas dans « la fonction parentale de l’analyste : Le passé recomposé 1999
[4] Jean Luc Donnet : un divan bien tempéré PUF 2002
[5] Eugenie Grandet Balzac
[6] Les cimetières sous la mer G Bernanos
[7] La chute A Camus