Etiopathogénie 

Les mécanismes générateurs d'angoisse existent toujours en grand nombre chez l'adolescent : 

A.  Il explore de plus en plus largement le monde et interagit avec de plus en plus de gens : il multiplie donc les occasions de rencontrer le danger, dont son intelligence perçoit ou anticipe le retour. Du moins pour une partie d’entre eux, car nombre d’autres adoptent des comportements de déni. 

B. Le travail autonome de son imagination est à la base de certaines « distorsions cognitives » Nous avons déjà signalé qu'il pouvait en résulter des idées dépressives ; il peut aussi en résulter des idées et affects anxieux sans fondements objectifs. Par exemple : 

-préoccupations autour des changements corporels, autour de la santé et de la maladie ... mais aussi, autour de l'avenir du monde, de la santé et de la richesse des parents, etc.

-inquiétudes chez certains autour de la rencontre amoureuse et sexuelle. 

C. Des conflits intrapsychiques nouveaux, ou qui se réactualisent après une période d'accalmie pendant l'âge scolaire, l'assaillent et sont à l'origine d'affects et d'idées anxieuses dans le cadre d'une structuration névrotique. Par exemple : 

- conflits de désirs : grandir - rester petit ; se laisser aller à la passivité - être conquérant ; s'attacher à ses parents - se d-ébrouiller seul (ou s'attacher à d’autres) 

- conflits entre désirs et assignations interdictrices introjetées (Sur-moi des psychanalystes) : autour de la sexualité (solitaire ou non) ; autour de la rivalité avec les parents et de la puissance, autour des désirs incestueux ... 

 Exemple un adolescent de 15 ans jusqu’alors BCBG, se sent devenir révolté contre le monde et, signe parmi d’autres, se met à faire des tags en ville. Il est cependant ennuyé aussi par l’idée de déplaire secrètement à ses parents. Pendant quelques mois, il ne peut plus uriner en dehors de la sécurité de sa maison. A trop vouloir jouer les Manneken-pis, il s’inhibe à un endroit bien symbolique 

- conflits à l'intérieur même des « assignations sociales » introjetées : entre ce que recommandent les parents et ce que recommandent les copains. 

Symptomatologie 

 

A - S'en suit-il des tableaux cliniques où l'angoisse est tellement intense ou/et diffuse que c'est à partir d'elle que le fonctionnement de l'adolescent est défini ?

 

Oui, quelques-uns. On peut reprendre à ce sujet l'énumération faite dans l'article 1 à propos de l'enfant 3.1.7.1 l'angoisse chez l'enfant

 Quelques commentaires plus spécifiques à son propos : 

- L'anxiété de séparation constitue toujours une dimension importante pour expliquer la phobie scolaire, relativement fréquente en début d'adolescence et régulièrement grave (longue durée, pronostic réservé) Elle se combine souvent dans ce cas avec la dépression, un certain degré d'organisation névrotique, et une grande susceptibilité narcissique qui rend l'adolescent grand à l'échec. 

- Les phobies sociales, peurs intenses d'échec et d'humiliation en public, au point d'entraîner des conduites d'évitement invalidantes, existent davantage chez les préadolescents, et surtout les adolescents, que chez les enfants, eu égard à l'introspection et aux allers-retours de l'investissement de soi typiques de ces âges. 

Néanmoins, nous ne sommes pas certains qu'il faille bien ranger les phobies sociales parmi les syndromes anxieux : en effet, la crainte de la violence d'autrui y est moins présente que la crainte de l'humiliation. Elles auraient davantage leur place dans une rubrique intitulée « pathologie du narcissisme »

Il en va d'ailleurs de même des dysmorphophobies , typiques elles aussi de l'adolescence.

Ici, l'adolescent craint (ou est sûr) d'avoir un défaut physique qui l'infériorise et lui attire les moqueries des autres : caractères sexués minables, grandes oreilles, acné insupportable etc. Sa crainte est purement imaginaire ou tout à fait disproportionnée à la réalité. Elle a des conséquences invalidantes : il ne pense qu'à ça, se déprime, fuît les autres, demande parfois avec insistance qu'on l'opère, etc.

Diagnostic différentiel : l'hypocondrie, où la personne est persuadée d'avoir une maladie et probablement qu'elle va mourir ; un TOC (trouble obsessif compulsif) où justement, obsessions et éventuelles compulsions porteraient sur une tare physique précise. C'est l'intensité de la dimension obsessive qui, quelque peu arbitrairement, « emportera » l'attribution diagnostique. 

 

B - Comme nous le disions dans l'article précédent, il est plus fréquent que l'angoisse ne constitue qu'un symptôme,

 

repérable ou dissimulé, au sein de tableaux cliniques très variés. Existe-t-il y des formes concrètes de ce symptôme qui soient typiques de l'adolescence ? Sur le plan qualitatif, pas vraiment ; quantitativement, on relèvera la fréquence relativement plus élevée, à ce moment de la vie, des somatisations anxieuses et des nosophobies.

 a) Les somatisations visées ici sont souvent migrantes et labiles. Elles sont le fait d'adolescents peu confiants en eux ou/et qui, à travers elles, cherchent également à occuper l'attention d'autrui. Plus rarement, il s'agit d'une somatisation intense, isolée qui peut être considérée comme une conversion hystérique.

Par exemple, tel jeune adolescent, porteur de violents désirs de mort dirigés contre son père, présente une nuchalgie dramatique, amenant son hospitalisation, dans les quelques jours qui suivent l'offre d'une carabine à plomb comme cadeau d'anniversaire,Ces somatisations sont donc à considérer comme des affects d'angoisse, les idées concomitantes étant refoulées. 

b) Les nosophobies sont des angoisses plus ou moins vives d'avoir une maladie grave : les maladies cardiaques, les cancers, la folie ou encore les maladies sexuellement transmissibles. Dans ce dernier cas au moins, la nosophobie est souvent une élaboration anxieuse faite dans le cadre d'un conflit névrotique sous-jacent.

 

C - Au moins autant que les enfants, un certain nombre d'adolescents apprennent à s'éviter le retour d'expériences anxieuses en évitant de se confronter aux dangers : ils ne sortent pas trop du nid familial et ne contestent guère autrui ... en eux-mêmes, ils parviennent même à modérer, si pas à éteindre leurs désirs de puissance et d'affirmation de soi, ou alors, ils les refoulent. Ils apparaissent donc comme conformistes - essentiellement - ; souvent, en outre, ils ont peu d'amis - l'un et l'autre, bien tranquille lui aussi - bougent peu, ont un hobby bien sage ... Ils mettent également beaucoup de temps avant d'oser s'investir amoureusement. A ce prix, ils réussissent souvent à échapper à un vécu anxieux répétitif.

C’est eux parfois qui se donnent des compensations dans leurs jeux vidéo, en étant d’imbattables champions des jeux les plus sanguinaires !

 

D - Enfin, l'adolescence constitue un âge typique de la vie où l'on a envie de ne pas tenir compte de tout ce qui apparaît comme « manque », de le dépasser, voire de le dénier. Ceux qui y procèdent le font parce que, par ailleurs, ils se sentent l'énergie - l'équipement pulsionnel - pour y réussir, parce qu'ils s'investissent positivement narcissiquement et veulent se donner une bonne image d'eux-mêmes, tout comme ils veulent que les autres les apprécient.

Alors, malgré ou parce qu'ils sont anxieux, ils affrontent le danger, en prenant éventuellement de grands risques, et font des exploits qui passent parfois pour téméraires.

Ces affrontements se font de façon solitaire et sont portés à la connaissance d'autrui ou non. Ils se font au moins aussi souvent en groupe, chacun se sentant alors renforcé par l'attitude des autres. On peut relire à ce sujet les deux articlse

3.1.25.1 Activités à risque chez les adolescents : description et raisons d’être (2)«

3.1.25.2 Activités à risque chez les adolescents : la prise en charge

  La prise de risque a bien parfois, entre autres, la signification d’un déni de l’angoisse ! 

Il n'est pas impossible que ces actes prennent parfois une dimension anti-sociale (vandalisme, profanations, vols ...) Certaines non-compliances médicamenteuses d'adolescents malades s'expliquent aussi de la sorte : c'est une manière de vérifier s'ils vont être plus forts que la mort. Il s'agit pour eux de faire comme si l'angoisse n'était pas là, plutôt que de la refouler, ce qui ne se réussit pas sur commande. Au fil, du temps, le fait que les exploits réussissent, c'est-à-dire qu'il n'y ait pas réponse agressive via la vie ou via autrui, constitue comme une preuve pour l'intelligence que l'angoisse était non fondée, et donc le vécu anxieux va en diminuant.