Une maman m’écrit:

Bonjour,

J'ai un garçon de 9 ans et demi, Sam, qui avec beaucoup d’émotions, de honte, de culpabilité et de peur de décevoir, m'a fait des confidences sur des faits qui se sont passés avec un petit voisin et ami, il y a environ un an. Il a commencé par me dire que des fois, ils s'amusaient à se toucher le "zizi" et regarder celui qui arrivait à monter le plus haut. Je lui ai posé des questions et, j'en ai conclu à une découverte sexuelle normale vu, leur âge.
Je l'ai rassuré en lui disant qu'ils avaient tous les deux découvert leurs sexes, que ce n'était pas grave, cependant, s'ils avaient envie de se donner du plaisir, ils devaient le faire seul, dans un endroit intime. Je lui ai aussi dit que c'était bien, qu'il en ait parlé et qu'il se soit confié.
Cependant, quelques instants plus tard, il m'a rappelé et là, m'a confié un autre acte qui m'a choqué. Il m'a, (avec beaucoup de difficultés) expliqué qu'ils avaient aussi mis le "zizi" de l'autre, dans leur bouche. Je n'emploie pas le mot "fellation" car je doute qu'à cet âge-là, ce soit une fellation proprement dite, mais quand même l’idée m’a choqué.
J'ai essayé de vite me reprendre pour que Sam ne perçoive pas mon "choc", mais je ne savais plus quoi dire. Je lui ai finalement répondu que c'était sûrement dans la découverte sexuelle, mais que ce n'était pas à faire, pas à leur âge et pas entre copains. Qu'ils ne devaient donc plus le faire. Il a pleuré et m'a dit: "Je veux pas que tu sois triste, je ne veux pas que tu me punisses, je ne veux pas être "gay", je ne suis pas "gay"..."
Je l'ai rassuré, pris dans les bras, réconforté, essayé de trouver des mots. Il m'a demandé de rester à côté de lui jusqu'à qu'il s'endorme, ce que j'ai fait. Mon fils m'a expliqué le lendemain qu'ils avaient fait cela deux ou trois fois, puis depuis plus. Qu'il ne pensait plus à ce qui s'était passé et que d'un coup il ne sait pas pourquoi c'est revenu dans sa tête. (Il s'est passé entre un an depuis).
C'est mon fils qui a proposé "ces jeux", pour le "zizi" dans la bouche, j'ai essayé de savoir où il avait vu cela, il m'a répondu qu'à l'école, les copains disaient "sucer ..."
De plus, je dois aussi parler à son copain (qui l’est resté), pour lui expliquer, qu'ils ne doivent plus le faire, même si apparemment ils ne le font plus. Enfin, lui dire ce que j'ai dit à mon fils et sans doute aussi à ses parents ...
Je vais acheter votre livre, "la sexualité des enfants". Parle-t-il de relation du même style ou me conseillez-vous un livre en plus?

Je vous remercie du temps que vous avez pris à me lire et de votre réponse.

Je réponds à la maman:

Chère Madame,

Je trouve que vous avez géré la situation jusqu’à présent avec beaucoup de sensibilité et d’authenticité. A travers ce que vous me dites, je partage l’idée de découverte sexuelle, qui inclut beaucoup de composantes: je les décris dans mon livre dans un chapitre concerné à la sexualité "normo-développementale" et les "jeux de bouche" peuvent en faire partie en notre époque contemporaine où les enfants en sont très informés.

Vous pouvez parler au copain de Sam dans les mêmes termes que vous l’avez fait à votre fils, mais ça ne me semble pas obligatoire car les deux enfants ont l’air de s’être autorégulés tous seuls; demandez à Sam ce qu’il en pense car je ne suis pas sûr qu’il désire que l’on revienne sur les faits eux-mêmes, cela peut être traumatisant et après tout, ils ont l’air de s’être bien débrouillés tous les deux. Autant pour ce que vous pourriez dire aux parents du copain ou garder pour vous discrètement: je pense que vu tout le contexte le souhait de Sam à ce propos devrait être pris en compte.

Le plus important est peut-être qu’ils restent de bons et sains amis et que vous ré insistiez auprès de votre fils pour qu’il sache dire "Non" à une sollicitation sexuelle, soit qu’elle émane d’un pair mais qu’il n’en a pas envie, soit qu’elle émane d’un nettement plus âgé (ou d’un adulte) et alors qu’ils n’en ont pas le droit. Rappelez-lui une fois encore que les jeux sexuels font partie de la vie et que, chez les enfants et les jeunes ados, ils se passent au moins aussi souvent entre personnes du même sexe qu’entre filles et garçons.

Je fais l’hypothèse que Sam a secrètement peur d’être gay – ce qu’il ne veut pas – parce que c’est lui qui a provoqué les mises en bouche (...), que ça lui a probablement bien plu sur le moment, même si ce n’était pas vraiment une fellation, et qu’il y repense peut-être encore parfois sur un mode agréable, dans ses rêveries nocturnes par ex, bien que ça l’embêterait de devenir gay.

Vous pouvez continuer à le rassurer, face à ce qui est l’issue la plus probable de tout ceci: les jeux sexuels entre garçons sont communs, donnent un certain plaisir, mais ne sont pas à l’origine de l’homosexualité. L’homosexualité, c’est essentiellement une question d’attirance du désir et de l’amour: pour un garçon, c’est quand on ne sent rien pour les filles (voir du mépris) et qu’on est amoureux d’un autre garçon. Quant aux simples fantasmes homosexuels liés à des jeux sexuels, ils évoluent tous seuls: à douze-treize ans, Sam pensera très vraisemblablement dans sa tête à des filles toutes nues et c’est cela qui excitera son zizi. Maintenant il "fait" avec les seuls souvenirs qu’il a et c’est normal.

Où habitez-vous? Si ça ne passe pas rapidement, peut-être devrait-il voir un psychothérapeute? S’il reste malgré tout très tracassé et que vous êtes loin d’une ville et d’un bon psy, vous pouvez lui dire que vous vous êtes confié à un psy spécialiste de la sexualité des enfants, que ce que vous lui dites, c’est aussi mon avis et que s’il veut, il peut en parler l’une ou l’autre fois avec moi sur Skype.

Enfin, que pense et que dit son père de tout ceci?

Bien à vous.

La maman me répond:

Bonjour monsieur,

Je vous remercie pour votre courrier et votre analyse.
Je suis rassurée sur le fait de "la mise en bouche", car cela nous inquiétait fortement.
Pour Sam, il a été rassuré et allait beaucoup mieux pendant trois jours, il n'y pensait plus.
Et puis, hier, il s'est remis à y penser (peur de devenir gay), à pleurer et s'angoisser. Je l'ai rassuré. Mais je pense que si cela continu je prendrais rdv avec une Pélops. Il ne peut pas rester dans une telle angoisse.
Pour mon mari, quand je lui ai annoncé, il a été très étonné mais a cherché également à comprendre,
Il a parlé avec Sam lui aussi, lui a expliqué que quand il était jeune avec un copain, ils s'étaient amusé à regarder qui avait "le plus grand zizi",que cela s'était passé l’une ou l’autre fois, et qu'il n'était pas devenu gay pour autant.
On pensait bénéfique d'expliquer à notre enfant, que papa avait lui aussi eu "un jeu sexuel".
Je vous remercie, recevez mes salutations.

Je lui réponds:

Je continue à faire l’hypothèse que Sam reste culpabilisé parce qu'il a de temps en temps des fantasmes érotiques qui remettent en scène les souvenirs sexuels ... ce serait alors cette persistance en lui qui lui ferait peur ... si c'était le cas et qu’il arrivait à vous en parler un peu, il faut lui redire que ça n'a rien à voir avec une orientation homo déjà là ... son imagination se raccroche à un souvenir agréable, mais ceux-ci évolueront dans la suite de sa vie comme les photos d'un album où s'ajoute du neuf ...

Son père peut peut-être lui dire aussi que si lui s'est arrêté à des comparaisons anatomiques, c’est parce que à son époque, on connaissait moins de choses et il ne savait rien du mot sucer ... s'il avait su, sa curiosité aurait probablement joué chez lui aussi, il aurait essayé, et serait quand-même devenu le chouette papa hétéro qu'il est ...

Autre hypothèse, ni impossible, ni très probable, à explorer avec beaucoup de délicatesse, et qui n'aurait d'ailleurs pas en soi de signification inquiétante: Sam a peut-être refait un ou plusieurs jeux sexuels, le même ou un autre, avec son copain ou avec un autre garçon, ou il a vu de la pornographie gay qui l’a troublé ... il ne vous a donc peut-être pas tout dit ...

Bien à vous.

La maman me répond

Bonjour,
Je vous remercie encore une fois de votre attention.
A l'heure d'aujourd'hui, Sam ne s'inquiète plus sur le fait de devenir gay ou du moins il n'en parle plus.
Mais il continue à vivre trop de culpabilité à notre sens et se pose mille et une questions, sur des choses complètement anodines, toujours dans un état d'inquiétude avec des larmes.
Par exemple: Est-ce que c’est normal de "vous insulter dans ma tête si vous me gronder? "Et il pleure, me dit je ne veux pas vous insulter mais c'est mon "cerveau".
Hier, il s'est baigné avec sa grande soeur dans la piscine et après il est venu me voir et me disant sur un air angoissé, ce n’est pas grave si quand je nageais ma main a frôlé au niveau de sa poitrine. 
J'ai l'impression qu'il se culpabilise sur tous ces faits et gestes d'avant et maintenant, on dirait qu'il a perdu sa confiance en lui.
Etant donné la situation, j'ai téléphoné à un service de Pélops.
J’en avais parlé à Sam, je lui avais dit que s'il était trop triste, il faudrait que quelqu'un puisse l'aider, il était d'accord.

Je vous remercie encore.

Je lui réponds:

Chère Madame,

J’apprécie une fois encore la délicatesse avec laquelle vous accompagnez Sam. Vu l’intensité avec laquelle toutes sortes de culpabilités le taraudent, vous avez eu bien raison de consulter un psychothérapeute d’enfants. Si vous le souhaitez, vous pouvez d’ailleurs lui montrer nos échanges de courrier.

Ma préoccupation est cependant que ce service se focalise trop sur la matérialité des jeux sexuels du passé et ne vous pousse à des interventions de révélation tardive qui risquent de faire pire que bien, puisque les deux garçons ont l’air d’avoir réglé leurs conduites entre eux et ne font plus rien de sexuel ensemble.

Est-ce que votre fils est "costaud" et s’approche de sa préadolescence? Je vous pose la question parce qu’il a l’air de culpabiliser très fort la montée des pulsions typiques du grandissement (agressivité et sexualité) Avez-vous une idée qui pourrait expliquer cette tendance à tout culpabiliser si fort? Etes-vous, vous ou son papa, des parents eux-mêmes trop sensibles, se mettant trop vite en question, trop sévères?

Un autre hypothèse est qu’il a trouvé, sans le vouloir au début expéditivement, une "carte à jouer" pour accaparer l’attention d’une maman à l’écoute, avoir des conversations sérieuses et privilégiées avec elle, se mettre un peu au centre du monde. Et de surcroît, en parlant de sa sexualité à lui ... or le domaine sexuel est typiquement quelque chose qui se partage entre le papa et la maman et peut-être avez-vous face à vous un petit rival œdipien de son père, qui vous attire subtilement dans ce terrain-là, en vous assurant bien que ce n’est pas aux femmes qu’il pense, mais en mettant quand-même en scène son zizi dans des moments érotiques ...

Ça ne veut pas dire bien sûr qu’il faut laisser tomber Sam et ses demandes de dialogue, mais peut-être parfois couper court à une conversation trop longue et, par petites touches, lui faire passer un message dont voici quelle pourrait être la synthèse de la teneur: "Ce que je peux faire pour toi, c’est te dire que la vie est belle. Nos pulsions agressives et sexuelles font partie de nous, et tout le monde qui va bien les exprime jusqu’à un certain point. Les seules choses "mal", qui doivent nous culpabiliser vraiment, c’est quand nous détruisons les autres, quand nous ne respectons pas leur liberté.

Pour le reste, nous avons le droit d’être curieux, de nous amuser, de nous affirmer avec notre agressivité et avec notre sexualité. Pour la sexualité, c’est tout seul ou avec des autres de notre âge qui sont bien d’accord que nous sommes invités à la vivre.

Si un adulte demande des trucs sexuels à un enfant, par exemple de le sucer, cet adulte fait quelque chose de mal, parce qu’il sort de son groupe d’âge pour vivre sa sexualité."

Et vous pouvez ajouter: "Si ce que je te dis-là ne te suffit pas, ce n’est pas à moi que tu dois raconter la suite de tes secrets et tes préoccupations sexuelles concrètes, mais à la psy que tu vas aller voir. Elle te dira ce qu’elle en pense. Moi, je dois me limiter à te dire que la sexualité, c’est une chose joyeuse dans nos vies, même déjà à ton âge qu’on appelle l’âge de l’éveil sexuel, ... c’est une chose joyeuse si nous nous respectons bien les autres, ceux qui font parfois du sexe avec nous, et si nous nous faisons respecter: si tu as envie, tu dis oui, sinon, tu dis non. Et si c’est un grand ado ou un adulte, tu dis toujours "non".

Tout ceci dit, et en me référant aux demi-confidences qu’il vous fait, il n’est pas impossible que sa vie sexuelle concrète soit plus active qu’il ne paraît, mais ne faites pas d’enquêtes à ce sujet au-delà d’aujourd’hui, sauf si à l’avenir il avait besoin de vous parler d’un fait inacceptable. "Ta vie sexuelle, c’est à toi, sauf si un jour, quelqu’un te faisait vraiment du tort ou te menaçait."

Bonne lecture de mon livre et amicalement.